Publié le 23/12/2020 Télécharger la version pdf



L’innovation doit être un état d’esprit lié à l’ACS 

Hervé Mauduit, en ACS depuis 20 ans, témoigne de son besoin de recherche permanente

L’ACS est un système où les agriculteurs veulent favoriser les équilibres naturels tout en gardant un bon potentiel de production.  Les recherches officielles sont encore rares et les agriculteurs ont pris l’habitude de réaliser leurs propres expérimentations.  Hervé Mauduit, en société avec son épouse Stéphanie, nous explique comment il pratique cette innovation sur sa ferme.




Description de la ferme

Nous sommes 2 à travailler sur la ferme pour une SAU de 320 Ha en Indre et Loire. Les sols sont argilo-calcaires très superficiels sur la moitié de la surface et sable inondable et irrigable dans la vallée du Cher sur l’autre moitié. Les parcelles vont de 2 à 30 Ha réparties sur 4 communes. L’assolement est composé de 8 à 10 cultures. L’irrigation est possible par prélèvement dans le Cher canalisé avec des restrictions ou interdiction possible selon les années. Je n’ai qu’un seul tracteur de 195 chevaux effectuant les semis, les épandages d’engrais et le transport à la moisson, un pulvé Spracoupe et un semoir JD750 6m60.


L’historique

J’ai repris la ferme de mon père en 2000. Elle était déjà orientée vers le semis direct ponctuel depuis l’année 1976 et la sortie en France des semoirs Huard SD300. Les motivations initiales étaient plus économiques qu’agronomiques et aussi pour éviter de ramasser des tonnes de cailloux après labour dans les sols argilo-calcaire. C’est au fur et à mesure des années et des observations que l’ACS a pris tout son sens. L’évolution du système a été conditionnée par des rencontres et du travail de groupe. Il y a eu une période de transition entre le système labour et le semis direct via le TCS relativement courte (environ 4 ans 1994/1998). La période TCS a apporté des difficultés de désherbage. Les premières années de SD ont réduit les difficultés liées aux désherbages mais ont été difficiles car les terres n’étaient pas prêtes avec des sols qui se refermaient. A l’époque, il y avait très peu de couvert et je sais aujourd’hui que c’est la base de l’ACS et que l’on ne peut pas passer d’un sol travaillé à un sol « vivant » sans racine, vers de terre, et tous ces êtres vivants si précieux !

J’ai appris un peu de mon père et je suis rentré dans un groupe de travail orienté SD et réduction phyto vers les années 1995. Ce groupe a évolué et c’est avec Philippe Lion que j’ai poursuivi le développement de l’ACS sur mon exploitation. Outre l’amélioration de la structure, de la portance et l’augmentation de la biodiversité, j’ai constaté une meilleure gestion de l’enherbement (Gros problèmes de brome qui ont été résolus en peu de temps).

Les couverts végétaux ont d’abord été mis en place pour des couverts d’intercultures longues avant des cultures de printemps. C’étaient des couverts très simples d’avoine d’hiver, puis avoine + féveroles et quelques essais avec du trèfle. J’ai commencé les couverts multi espèces vers les années 2005, plutôt pour les couverts d’intercultures courtes et sans trop savoir quoi et comment choisir les espèces pour composer le couvert. Après plusieurs formations, j’ai développé des couverts plus performants. Aujourd’hui mon système est à l’équilibre avec des résultats technico-économiques très satisfaisants.


Les rotations

Suivant le type de sol et la présence d’irrigation, mes rotations diffèrent. La rotation est essentiellement réfléchie pour lutter contre l’enherbement (cultures à dates de semis différentes, alternance de matières actives, …) mais aussi diversifiée pour lutter contre les parasites et maladies. Le ray-grass reste l’adventice la plus problématique.
Dans les sables avec irrigation : Blé – maïs – soja
Dans les sables sans irrigation : Colza- blé – sorgho – millet
Dans les argilo calcaires : Je cultive entre 8 et 10 cultures de vente chaque année (Blé, orge, maïs, tournesol, soja, sorgho, millet, colza, lin, féverole) et d’autres cultures suivant les opportunités économiques (lentilles, pois chiches…) et dans le but d’allonger encore plus la rotation.


Les recherches sur la ferme : travailler avec plutôt que lutter contre

Depuis mon installation, je travaille sur une meilleure connaissance des plantes (cultures et couverts) pour favoriser les interactions entre elles, limiter l’enherbement et favoriser la biodiversité pour diminuer les impacts des prédateurs. Plus récemment, je me suis mis à travailler sur la fertilisation car, là aussi, des progrès majeurs d’optimisation des pratiques sont à réaliser.
Tous les ans je mets en place des bandes d’essai pour observer le comportement des plantes, l’impact sur le sol et sur les rendements. Voici quelques exemples de travaux menés :
Colzas (problème de désherbage (géraniums) et d’insectes): J’ai commencé à associer les colzas il y a environ une quinzaine d’années avec, à l’époque, aucun essai en la matière dans les centres de recherche ! Je valide aujourd’hui un mélange composé de 10 kg de fenugrec, 70 à 100 kg de féverole, 10 kg de lentille et 3 kg de lin. Le colza est semé à 5 kg avec un mélange de 3 variétés achetées. J’ai également avancé les dates de semis dès début août car cela permet un meilleur développement et une couverture du sol plus rapide. Les plantes compagnes accentuent ce développement et la couverture et aident considérablement le désherbage. Ces pratiques me permettent également de ne plus utiliser d’insecticide en particulier contre les altises.

Je travaille également sur les couverts pluri annuels depuis quelques années avec des résultats mitigés. Je les ai principalement testés avec le semis du colza et les plantes compagnes. Que ce soit pour le trèfle blanc ou la luzerne, je trouve la gestion difficile aussi bien pour le désherbage que pour garder le couvert vivant. Pourtant, je pense que c’est une pratique qui a du potentiel car une plante pérenne a toujours un enracinement plus performant qu’une culture annuelle. Le but n’étant pas de remplacer les couverts annuels mais de renforcer la protection et la fertilité du sol à des moments clés. Je continue donc à chercher et à me documenter.

Blé : Je voudrais également semer le blé avec des plantes compagnes pour l’accompagner dans sa croissance au démarrage, diminuer la pression pucerons d’automne et limiter le développement des adventices (idem colza). J’ai essayé avec de la vesce (20 à 25 kg) : je ne vois pas d’incidence sur le blé mais j’ai encore du mal à juger de la pertinence de cette plante sur le salissement et les pucerons. Je tâtonne encore pour trouver les bonnes plantes pouvant avoir une synergie avec le blé.


La gestion des limaces :

C’est un organisme dont j’ai encore du mal à comprendre la dynamique de population. Ce n’est pas forcément un problème sauf ponctuellement pour du tournesol ou du colza. Pour ces cultures, je préfère sécuriser le germe en mettant un peu de phosphate ferrique dans la ligne de semis si je constate une pression significative. Pour les blés derrière colza, je détruis les repousses de colza avec juste ce qu’il faut d’herbicide pour qu’elles périssent lentement : les limaces s’occupent de ces repousses laissant le blé tranquille.

Les mélanges variétaux :

Outre le colza dont j’ai déjà parlé, je sème également un mélange de variété de blé et ce, depuis une quinzaine d’années. Je pense que ce mélange est bien adapté à mon terroir et aux stress divers que l’on peut subir localement. Je peux y ajouter ponctuellement une nouvelle variété si besoin. Aujourd’hui il est plutôt réfléchi avec des variétés résistantes à la fusariose et avec un bon potentiel de rendement.

La fertilisation :

Je me suis équipé récemment pour pouvoir apporter de l’engrais starter sous forme liquide. Ce sont des engrais plus faciles à faire évoluer en fonction des besoins des plantes et de la richesse du sol en éléments minéraux. La base est toujours du 14-48 (azote et phosphore) auxquels je peux ajouter du zinc pour le maïs par exemple ou du soufre pour le colza. Je fais de nombreux essais actuellement pour essayer de trouver la meilleure formulation avec différents oligo-éléments. C’est un travail d’ampleur mais sur lequel on tâtonne encore beaucoup.

La gestion des couverts :

Je travaille sur les dates de destruction en fonction de la culture suivante, du type de sol, de sa réserve utile et de la présence d’irrigation sur la parcelle. C’est un mix de l’ensemble, combiné avec le climat de l’année, qui me donne les indications de date de destruction du couvert : chaque année est donc différente. Je réalise des essais de fauchage ou de roulage de couvert long pour le redynamiser et éviter le semis de couverts relais. Il faut donc travailler sur le choix des espèces, sur leurs comportements après la fauche ou le roulage, sur les dates en fonction de l’évolution du couvert …).




Et si le glyphosate venait à disparaitre ?

Je n’ai pas de piste de travail pour une sortie du glypho. Je pourrais pendant un certain temps augmenter les quantités d’autres herbicides utilisés sur ma ferme pour palier au retrait de cet outils mais je crois que je préférerais arrêter complètement d’exploiter plutôt que de détruire ce que mon père a commencé et ce que je me suis efforcé de développer durant plus de vingt ans. C’est-à-dire la biodiversité, la vie de mes sols et leur fertilité, …
Pourquoi ne parle pas-t-on de la sortie du labour ? Supprimons les charrues et tous ces outils de tortures pour les sols ! Supprimons les labours qui dégradent la fertilité des sols, leurs équilibres, la biodiversité, et qui coûtent une fortune à tout le monde à cause de l’érosion.  Sans glypho ou autres outils de substitution, je jette l’éponge !!!



En conclusion


L’innovation et la remise en question est un état d’esprit lié à l’ACS car c’est un système novateur et très complexe. Il repose sur plusieurs aspects qui doivent être compris, travaillés, évolutifs et ne peuvent être dissociés pour réussir (couverture du sol, non travail du sol, diversité d’assolement).  Il y a des grands principes à respecter pour la mise en place du système et pour le faire perdurer mais le système ACS doit être adapté à chaque exploitation en fonction du sol, du climat, du système céréalier ou élevage… De plus, il reste encore tellement de connaissance à acquérir sur ce qui ce passe sous nos pieds : Le sol et ceux qui y vivent ! Par exemple, la synergie entre les colzas et les légumineuses est observée mais est-elle vraiment expliquée ?  Des connexions entre plantes se font via les mycorhizes (entres autres ??) mais comment peut-on les développer ou les faciliter ? Qui communique avec qui ? Quelles sont les plantes à associer…
Il ne suffit plus de semer, fertiliser, protéger et récolter mais de mieux comprendre le fonctionnement de notre patrimoine sol, de ce qui vit dessus et dedans pour que ce qui y pousse s’épanouisse avec force et vigueur.


Article écrit par le comité technique de l’APAD.
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