Publié le 18/09/2020 Télécharger la version pdf



Le semis du blé en Agriculture de Conservation des Sols

L’implantation du blé, et des céréales d’automne en général, en semis direct ne présente pas de difficulté majeure à condition de respecter un certain nombre de principes qui sont souvent communs aux cultures semées en direct. L’Agriculture de Conservation des Sols est un système, ce qui explique que la réussite du semis passe en partie par le choix du précédent et de sa gestion.

Voici les principes fondamentaux à respecter pour une bonne levée :

La date peut être avancée par rapport aux semis classiques. Il faut également prendre en compte le risque puceron qui est alors accentué ainsi que le salissement avec des graminées ray-grass et vulpin principalement. C’est bien la conjonction de ces risques potentiels qu’il faut évaluer au mieux et anticiper. Cependant, un semis tardif entraîne une moindre minéralisation en semis direct et impacte le développement de la plante : elle est alors sensible plus longtemps aux prédateurs avant l’hiver et elle résiste moins aux intempéries. Suivant les régions, la période optimale est environ 10 jours avant les semis conventionnels en restant vigilant sur le risque puceron.

Comme pour tout semis en SD, le sol doit être bien ressuyé et plus il est humide, moindre doit être la pression de l’élément semeur.  Ce qui sous-entend également que le semis direct n’est pas une solution à prescrire pour des agriculteurs qui ne peuvent plus labourer leur sol car il est trop humide : le risque d’échec est trop élevé et peut donner une image négative du SD. En fonction du précédent, le semis peut présenter un angle par rapport à la culture précédente pour éviter qu’un élément semeur se retrouve tout le long de la parcelle dans le rang précédent avec une mauvaise mise en terre.

Le type de semoir, à disque ou à dent, importe peu. Il faut s’adapter à son matériel, son sol et aux conditions de l’année sachant que le semoir à dent fera du moins bon travail dès que le sol sera trop humide ; à contrario, il dégage bien la ligne de semis de tout débris végétaux nuisibles à la germination. Les semoirs à disque inclinés permettent également de ne pas avoir de paille dans la ligne de semis.

Pour pallier la moindre minéralisation et la consommation d’azote pour dégrader les pailles éventuelles du précédent, un engrais starter à base d’azote, phosphore et soufre doit pouvoir être positionné : C’est souvent une stratégie gagnante.  Suivant la pression limace, il peut également être utile de mélanger l’anti limace à la semence ou d’avoir une caisse spécifique pour protéger la plantule : 3 kg/Ha sont souvent suffisants.

Le choix de la variété ne présente pas de spécificité à un semis en direct : aucun essai n’a montré de différence de comportement des céréales entre le semis en direct et le conventionnel. Un bémol sur les variétés hybrides : elles compensent leur plus faible densité de semis par un meilleur tallage : or, celui-ci est souvent plus faible en ACS par manque d’azote en sortie d’hiver d’où une moindre compensation. Dans les autres cas, on peut donc se rapprocher sans risque des résultats d’essais menés en travail du sol. Dans de nombreux cas, les agriculteurs en ACS ont pris l’habitude de semer un mélange de variétés : ceci n’est pas une spécificité de l’ACS mais montre souvent des résultats très intéressant dans des stratégies à bas intrants que l’on rencontre souvent, en particulier avec la moindre utilisation de fongicides. Soit les agriculteurs ressèment leur propre mélange d’une année sur l’autre en ajoutant éventuellement une proportion de nouvelle variété, soit le mélange est nouveau tous les ans comme le présentera le témoignage ci-dessous.

Le mélange de variétés peut surprendre visuellement mais montre plus de résilience

Concernant les maladies cryptogamiques, les systèmes ACS en équilibre ne présente pas plus de risque ; en particulier, un précédent maïs grain n’entraîne pas plus de fusariose, au moins dans les différents essais que l’on a pu mener. Les traitements de semences ont cependant tout leur intérêt en particulier contre le risque de carie, charbon, …

Le semis doit se réaliser sur un sol exempt de toute adventice problématique, en particulier graminés. D’autre part, la première feuille qui sort du coléoptile doit aussitôt être à la lumière sous risque d’élongation du mésocotyle et un moindre tallage : la culture ou le couvert précédent ne doit donc pas gêner l’accès de la lumière à la plantule. La densité de semis est souvent augmentée car les pertes peuvent être plus importantes vue la biodiversité présente dans le sol. Une augmentation de 20% de la densité habituelle est un juste équilibre soit environ 300g/m² pour un semis du 15 octobre en terre saine.

Enfin, l’une des problématiques qui peut être rencontrées, surtout en transition vers un système en équilibre, est la gestion des limaces : à l’automne, elles sortent d’une période de disette avec le sec et les pluies signent leur remise en activité vigoureuse. Tout ce qui facilite leur présence est à éviter : anfractuosité dans le sol (d’où l’importance du roulage), couverture végétale trop épaisse et plaquée au sol (exemple d’un maïs grain à haut rendement dont les fanes sont broyées et plaquées au sol par la pluie), absence de couverts verts au semis donc la céréale est la première plante vivante que peuvent rencontrer les limaces (un couvert d’été même peu développé ou un semis d’une plante leurre avant l’implantation de la céréale suffit souvent à limiter le problème). De nombreux témoignages montrent que moins on utilise d’anti limace, plus rapide est l’arrivée d’un équilibre limitant leur prolifération.  A ce titre, l’APAD va mettre en place un suivi dès cet automne, sur les semis de blé, pour essayer de mieux comprendre la dynamique des limaces.


Témoignage de Damien Boudrot, agriculteur à Villy le Moutier en Côte d’Or, en ACS depuis 15 ans

J’ai commencé le semis à la volée du blé suite à ma participation à une conférence de Lucien Séguy, organisée le 14 septembre 2013 par Serge Augier à Besançon. Le printemps 2013 avait été très humide avec un semis de soja fin mai/début juin. La récolte du soja et par conséquent les semis de blés s’annonçaient donc très tardive. Pour respecter les dates optimales, j’ai donc semé à la volée dans le soja quand il commençait tout juste à perdre ses feuilles afin que les feuilles suivantes recouvrent les graines. Pratique mis en œuvre par L. Seguy au Québec pour installer des blés d’hiver.

Un phénomène de condensation se passe sous les feuilles ce qui permet la germination même sans pluie ! Depuis cet essai qui fut une réussite, j’ai pu tester le semis à la volée après soja ou maïs récolté avec les mêmes réussites : ces 2 cultures n’ont pas d’allélopathie et les graines tombées sur les résidus de culture arrivent à germer et à trouver la terre, aidées en cela par l’activité biologique et les vers de terre qui bougent les résidus. Les résultats sont assez impressionnants d’autant plus qu’avec les automnes chauds depuis plusieurs années, les graines germent très vite et échappent ainsi en bonne partie aux limaces. Mon itinéraire technique est peu modifié : uniquement une densité de semis à 350 grains au m² dans le soja et 400 grains dans le maïs contre 300 grains avec un semoir.  Je suis aussi plus vigilant sur les pucerons d’automne car je sème assez tôt. Avec cette technique, je n’ai aucun problème de piétin verse car le plateau de tallage est en surface. Par contre, je ne sème pas à la volée en paille sur paille ni derrière le colza : les résidus empêchent une bonne germination (allélopathie ?). En bilan, pour moi, le semis à la volée est vraiment une technique qui fonctionne bien et qui me permet d’être serein pour les semis d’automne car j’ai toujours ce plan B si je ne peux pas semer au semoir.


Témoignage de Laurent Moinard, agriculteur à Nieul sur l’Autize en Vendée, en ACS depuis 8 ans.

Avec notre groupe de 4 agriculteurs nous semons depuis plus de 10 ans un mélange variétal en blé. Pour ce faire, je sème un champ avec un mélange de 7 à 8 variétés différentes choisies selon 3 critères : en premier, la résistance au chlortoluron ; en second, la résistance à la verse et en troisième le rendement. Tous les ans nous refaisons un choix des variétés en ajoutant la ou les 2 meilleures de l’année passée et en ôtant donc la ou les 2 moins bonnes pour toujours rester à 8. Quand une variété est vraiment au-dessus du lot, nous la mettons en double densité par rapport aux autres. Les avantages de cette technique de mélange est qu’on n’a plus de blé qui verse car les épis sont à des hauteurs différentes ; les rendements sont très homogènes d’une année sur l’autre ; les maladies fongiques sont plus rares ce qui nous permet de diminuer fortement l’usage des fongicides. Un autre avantage est qu’on va beaucoup plus vite à semer car nous avons tous les 4 le même mélange stocké en vrac donc on remplit le semoir beaucoup plus vite et le réglage est toujours le même pour toute la campagne.  Nous n’avons jamais eu de problème pour commercialiser notre récolte et nous continuons toujours cette façon de faire avec des rendements qui nous satisfont pleinement.




Témoignage de Bruno Génin, ​agriculteur à Vavincourt (55), en ACS depuis 5 ans.

Comme dans de nombreuses régions françaises, nous avons des étés de plus en plus secs avec une réussite aléatoire des semis de couvert d’été.  Suite à une visite chez Hubert Charpentier, j’ai décidé de mettre de la luzerne comme couvert pluriannuel.  Je la sème avec le colza comme une plante compagne puis, à la récolte du colza, la luzerne est en place et ma parcelle a son couvert.  Les années humides, je

peux faire une fauche qui peut être valorisée en élevage. Ensuite je sème le blé dans la luzerne fin septembre comme c’est l’habitude dans notre région : la luzerne ne change pas ma date de semis. Idem pour la densité à 370 à 400 grains / m² en fonction de la date, ce qui est la densité habituelle. Pour gérer le salissement, j’utilise 0.5 litre de glyphosate et quelques grammes d’Allié.  En fonction du salissement, en particulier le vulpin résistant aux ALS, un désherbage d’automne est réalisé. Je reviens ensuite au printemps pour gérer si besoin le développement de la luzerne :  C’est une gestion fonction de l’année et non un programme de désherbage systématique. Quant à la fertilisation azotée, la luzerne ne modifie pas ma stratégie qui reste habituelle pour un potentiel aujourd’hui à environ 70 quintaux, moyenne des 2 dernières années. Cette année atypique avec une sécheresse qui dure depuis le 15 juin impacte également la luzerne : je n’ai pas pu semer de colza tellement c’est sec et donc pas de luzerne non plus.  La luzerne d’un an implantée avec le colza en 2019 est également en train de végéter, sans production de biomasse.  On observe donc la limite quand la sécheresse devient persistante : il n’y pas de miracle, même avec de la luzerne sauf si elle a un enracinement suffisant qui lui permet d’aller chercher l’eau en profondeur.  Quant aux autres plantes possibles comme le lotier et le trèfle blanc, je n’ai pas encore eu l’occasion de les tester dans ma partie en conventionnel.



Le blé à montaison dans la luzerne
A la moisson, le couvert est déjà implanté !


 

Existe-il des bénéfices à disposer de son propre mélange
de variétés de semences fermières en ACS ?

Par Stéphane Cordeau, UMR Agroécologie, INRAE et Jérome Enjalbert, UMR Génétique Quantitative et Évolution - Le Moulon, INRAE


Pour des raisons économiques mais aussi agronomiques, de nombreux agriculteurs ont recours aux semences fermières en mélange de variétés. Le bénéfice avancé est que le mélange s’adaptera aux conditions pédoclimatiques de la ferme. Il est vrai que mélanger des variétés peut avoir des vertus agronomiques comme l’a démontré le projet de recherche Wheatamix (https://www6.inrae.fr/wheatamix/). Néanmoins, il ne faut pas éluder le fait que dans un mélange donné, les variétés qui se comportent bien une année seront surreprésentées dans le mélange ressemé l’année suivante, dont les conditions pédoclimatiques et de pressions biotiques pourront leur être défavorable. Cette dérive des proportions s’accentuant au cours des années, les propriétés initiales de complémentarité entre variétés risquent à terme d’être perdues. C’est pour cette raison que la majorité des agriculteurs pratiquant les mélanges les réassemblent régulièrement. D’autres agriculteurs ont des mélanges « évolutifs », dans lesquels ils introduisent régulièrement de nouvelles variétés. Ainsi, mélanger oui, mais en continuant d’améliorer les performances du mélange. De plus, mélanger oui, mais en tenant compte de quelques règles d’assemblage afin de garantir le meilleur mélange :

  • Homogénéité relative de la précocité à montaison (pas plus de 1-1.5pt), sauf si le risque de pression insectes nuisibles sur une période assez ciblée et en conditions particulières (humides et chaudes) est récurrent : alors étaler un peu les précocités à floraison de manière à ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Veiller à ce que les précocités de floraison soient resserrées (1pt), pour éviter les problèmes de récolte.
  • Résistance rouilles jaune et brune : pas plus d'une variété sensible dans le mélange (note ou = 7)
  • Résistance septoriose : pas plus d'une variété sensible (note<5) et au moins une résistante (note>6)
  • Piétin verse : pas d'effet mélange connu
  • Cécidomyie = pas de référence en mélange, mais plus il y a de variétés résistantes une année donnée, moins on infeste la parcelle pour les années suivantes. A noter que l’étalement des précocités de floraison pourrait jouer favorablement
  • Hauteurs : des différences assez importantes de hauteurs peuvent être tolérées. Si les variétés courtes peuvent avoir un effet tuteur sur les plantes hautes, limiter la fréquence des variétés « versardes » (<1 variété/4), qui peuvent coucher les plantes plus courtes.

Ces règles d’assemblage constituent un guide que les scientifiques INRAE en collaboration avec leurs partenaires ont établies et qui sont aujourd’hui mis en œuvre sur la plateforme CA-SYS (INRAE Dijon, https://www6.inrae.fr/plateforme-casys/)  pour le choix des mélanges de 4 variétés semés chaque année. Un outil en ligne, OPTIMIX, permet d’évaluer un mélange sur ses propriétés de résistance aux rouilles et septoriose (www.moulon.inra.fr/optimix).

De nombreuses remontées de terrain font état que les variétés actuelles ne sont pas adaptées aux sols en ACS où les sols ne se réchauffent pas comme dans les sols travaillés. Il est donc à noter pour les agriculteurs en ACS, dont les sols évoluent différemment liés au non travail du sol, qu’il est probable qu’un mélange créé par l’agriculteur et adapté au fur et à mesure des années se comportent mieux qu’une variété en pure. Néanmoins nous pouvons noter qu’aucune variété n’est sélectionnée/développée pour le contexte de l’ACS, et qu’il n’y a peu ou pas de référence scientifique sur le sujet, autres que les observations empiriques. Il peut donc être conseiller de choisir dans le mélange des variétés a fort vigueur initiale et/ou précocité à montaison.


Article écrit par le comité technique de l’APAD.

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comite.technique.apad@gmail.com