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Publié le 16/04/2024Télécharger la version pdf





S’adapter aux changements climatiques en grandes cultures



ÉVOLUTION DE LA TEMPÉRATURE MOYENNE ANNUELLE EN FRANCE MÉTROPOLITAINE
​​​​​​​DEPUIS 1900

Le changement climatique est aujourd’hui une réalité qu’observent de nombreux pays dans le monde.  Il est plus rapide que les experts internationaux ne l’avaient prédit et entraine son lot d’impacts sur l’agriculture en particulier.  Cet instant technique vous propose de faire le point sur les impacts de ce changement sur les cultures et d’étudier en quoi l’agriculture de conservation des sols peut être un système qui permet d’en diminuer certains aspects.  Merci à Serge Zaka, docteur en agroclimatologie, pour sa participation à l’écriture de ce document.  Merci également aux agriculteurs ayant témoigné, en particulier à Oussama Rabah du Maroc où la situation est très préoccupante..






      

Le changement climatique, d’après le 5ème rapport du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), a été mesuré entre 1880 et 2012 avec une augmentation de la température moyenne à la surface de la terre de +0,85°C. Peut-être devrait-on d’ailleurs parler des changements climatiques car au-delà des augmentations de températures moyennes, prévues entre +0,3 et 4,8°C au cours du 21ème siècle, ce sont des modifications de la pluviométrie et un accroissement de la fréquence des évènements climatiques extrêmes que l’on observe déjà et qui s’accentueront. Dans cette problématique globale, l’agriculture a une place bien particulière : c’est un secteur d’activité “émetteur” de gaz à effet de serre (GES) mais une des seules activités qui participent aussi à atténuer les changements au travers du stockage de carbone dans les sols.  De plus, et c’est l’objectif de cet instant technique, c’est un secteur où les impacts des changements climatiques sont déjà visibles et pour lesquels il faut s’adapter pour diminuer la vulnérabilité des fermes !



1.    Les effets du changement climatique sur les cultures


Des indicateurs comme la couverture neigeuse, la date de floraison des arbres fruitiers ou la date des vendanges permettent d’observer les effets déjà ressentis du changement climatique. En France, de nombreux experts attribuent aussi la stagnation du rendement du blé à la modification du climat. En effet, l’augmentation moyenne des températures cache des amplitudes thermiques plus importantes entre saisons qui impactent les cultures, mais aussi des évènements climatiques extrêmes (canicule, inondation…) et un impact sur les ressources en eau. 
Ces modifications auront un impact sur la quantité et la qualité des productions agricoles, sur l’environnement (sol, eau, biodiversité…) et amplifieront ou déplaceront les zones d’actions de certains ravageurs. Les projections des effets régionaux sur l’agriculture sont encore incertaines mais les productions végétales étant optimisées pour des zones climatiques déterminées, les rendements et la productivité des cultures seront inévitablement touchés.


A.    Les hypothèses d’évolutions


a.    Raccourcissement des cycles de végétation


L’augmentation prévue des températures sur le territoire français va accroître les degrés jour disponibles. Ainsi, les besoins nécessaires en chaleur au développement complet d’une variété seront en un lieu donné, plus rapidement et/ou plus fréquemment satisfaits.
Deux conséquences peuvent en être déduites : d’une part, de nouvelles régions de cultures vont se développer alors qu’elles étaient jusqu’ici jugées trop fraîches et d’autre part, cela offrira de nouvelles possibilités de successions culturales dans une région donnée.
Les observations se font déjà par Arvalis par exemple qui observe que depuis 1970, le cycle des céréales d’hiver a diminué de 10 jours en raison d’une augmentation du cumul de températures (+200°C). Sur cette même tendance, d’ici 2050, les récoltes seront probablement avancées de 10-15 jours.
Cette augmentation des températures aura également un effet sur le cycle des adventices avec un enchaînement plus rapide des stades de développement et donc moins de jours pour les traitements herbicides.  Certains herbicides (comme le Kerb) pourraient perdre en efficacité.


b.    Accidents physiologiques plus fréquents avec la modification des amplitudes thermiques

Le changement climatique se manifestera par des jours chauds plus fréquents et des jours froids plus rares. Or ces températures élevées ou basses ont des effets particuliers sur le fonctionnement des plantes cultivées et des conséquences sur les niveaux de production. 
Des jours échaudant plus nombreux : différents résultats d’étude font apparaître qu’à l’avenir les températures maximales journalières franchiront plus fréquemment le seuil des 25°C au cours des mois d’avril à juin. Deux voies d’adaptations apparaissent : l’avancement des dates de semis et l’amélioration variétale, orientée vers le raccourcissement des cycles et la tolérance aux températures élevées.
Des gelées d’automne plus rares : dans les régions françaises les plus fraîches, certaines rotations culturales sont actuellement pénalisées par les accidents liés au gel sur les cultures d’hiver en début de cycle. Ce pourrait ne plus être le cas à l’avenir ou à des fréquences plus rares.


c.    Augmentation des besoins en irrigation des cultures de printemps

La baisse marquée des précipitations printanières et estivales va conduire à l’augmentation des besoins en irrigation des cultures de printemps. Parallèlement se pose la question de l’évolution des ressources naturelles en eau puisqu’il pleuvra davantage en hiver.  La question du stockage de l’eau sera de plus en plus d’actualité.


d.    Précipitations et jours disponibles pour les travaux des champs

La diminution assez générale du rythme des précipitations devrait conduire à une augmentation du nombre de jours où l’humidité des sols est suffisamment faible pour permettre l’intervention des engins agricoles dans les parcelles. C’est dans le sens d’une facilitation des chantiers (récolte maïs, préparation semis d’hiver…) que le changement climatique devrait jouer, rendant plus aisée la conduite des cultures concernées.  Cependant, et nous l’avons vu cette année, une pluviométrie régulière aux moments des opérations culturales rend celles-ci complexes avec une gestion difficile d’autant plus quand le matériel est commun à plusieurs fermes avec un planning chargé.
Concernant toujours les précipitations, il est également observé une augmentation des pluies de type méditerranéen donc avec des quantités importantes de pluie en peu de temps.  Ceci entraîne la formation de grosses gouttes qui augmentent le risque d’effet « splash » avec déstructuration de la surface du sol et donc plus de risque d’érosion.


e.    Concentration en CO2 et niveau de production

L’augmentation du CO2 dans l’atmosphère devrait stimuler la photosynthèse de certains végétaux et donc potentiellement permettre une augmentation de rendements, en l’absence de stress hydrique.  Ce sera le cas des céréales et des brassicacées (colza) mais pas du maïs par exemple.


B.    Les leviers d’adaptation


a.    Les changements d’assolement

Ils représentent un levier d’adaptation important aux changements climatiques et sont déjà une réalité observée. Entre 2000 et 2020, la sole a sensiblement évolué sous l’effet conjugué de dynamiques spécifiques à certaines espèces (hausse du tournesol, soja, pois chiche, lentille, chanvre, baisse du blé dur et du maïs irrigué et pluvial), de la migration de certaines espèces vers le nord (maïs grain irrigué, tournesol, blé dur) et enfin du développement de nouvelles cultures.
Au regard du facteur sécheresse, les cultures qui sont identifiées comme les plus résilientes sont le tournesol, le sorgho, le pois chiche et le chanvre à condition également de trouver les variétés adaptées au système ACS.  Pour autant, économiquement et, « sans surprise », le blé tendre d’hiver, le maïs, le blé dur et le colza s’avèrent plus intéressants que les tournesols, sorgho, soja, chanvre et pois chiche. 
Le facteur économique est donc clairement identifié comme frein à l’adaptation des assolements, mais le sous-développement en matière de recherche (variétés et systèmes de production) pourrait également être évoqué car les cultures adaptées au changement climatique font parent pauvre comparativement aux cultures traditionnelles.


b.    Choisir des variétés adaptées et les diversifier

En plus des espèces, il est évident qu’un gros travail sur les variétés devra continuer à être réalisé.  Pour les cultures d’hiver, on constate déjà qu’une plus grande précocité est souvent gage de passer à travers l’échaudage de juin et cela risque de s’accentuer.  Pour les cultures d’été, la floraison est un stade important où un excès de température peut impacter grandement le rendement.  Entre date de semis et indice variétal, des stratégies devront être mises en œuvre pour éviter la probabilité de grandes chaleurs à ce stade.  Variétés et précocités différentes feront partie des solutions que chaque agriculteur devra diversifier face aux aléas grandissants.


C.    Les spécificités de l’élevage


Concernant l’élevage, outre les impacts sur les cultures comme vu précédemment (et donc production de paille et de maïs ensilage), les prairies connaîtront une évolution de leur production.  Sur toute la moitié nord, la production annuelle devrait rester équivalente avec une compensation de la moindre production estivale par une plus forte production hivernale.  Cette production pouvant, certaines années, ne pas être valorisées à cause des excès d’eau et de l’impossibilité de pâturage.  S’il pleut suffisamment, la production printanière pourra être en augmentation grâce à la douceur, au taux de CO2 et à l’humidité du sol.  La reprise automnale peut aussi être intéressante si la pluie reprend assez vite et sans excès.
Par contre, pour le sud de la France, la moindre production estivale pourra ne pas être compensée par la production printanière car la sécheresse arrivera trop tôt et / ou idem pour la production automnale qui pourrait démarrer trop tard suivant la date du retour des pluies.   
Comme pour les cultures, il faudra être opportuniste et faire du stock dès que ce sera possible pour anticiper les périodes plus difficiles.  De plus, les prairies multi espèces et la diversité des prairies seront sûrement la norme avec un lissage de la production
Quant aux animaux, le nombre de jours stressants (humidité relative élevée combinée à une forte température) seront en forte augmentation avec baisse de la production, réduction des déplacements et moindre rumination.



2.    Face aux changements climatiques, l'agriculture de conservation des sols possède plusieurs atouts grâce à chacun de ses 3 piliers


A.    Le semis direct


Le semis direct et la moindre minéralisation de la matière organique a 2 conséquences sur le régime hydrique. En effet, les pluies seront plus intenses et sur des périodes plus courtes, en particulier durant la saison estivale. Il faut donc que le maximum d'eau rentre dans le sol et en stocker le plus possible. Augmenter la microporosité des sols en permettant une liaison avec la macroporosité va permettre une meilleure infiltration et une meilleure rétention de l’eau. On sait que les sols en ACS retiennent 5 à 10 % d'eau en plus qu'un sol travaillé, ce qui correspond à 7 à 10 jours d’eau en plus à disposition de la plante.  De plus, la meilleure portance permet, dans le cas des fortes périodes de pluies, d’intervenir plus rapidement dans les parcelles en rendant le champ plus accessible qu'un sol travaillé même superficiellement.


B.    Les sols toujours couverts 


Ils permettent aux sols d'être moins chaud et donc de baisser l’évapotranspiration. Avec des températures qui pourront allègrement dépasser régulièrement les 30 degrés en été, ce paramètre sera très important. De plus, ces températures plus basses du sol permettront de ne pas détruire la biodiversité du sol.


C.    La diversité des espèces cultivées 


Elle va permettre de diversifier les rotations ce qui est toujours pertinent avec des aléas climatiques qui vont aller en augmentant.
A ces 3 piliers, nous pouvons ajouter que souvent en ACS les agriculteurs conservent davantage les haies voire en plantent de nouvelles. Ceci va favoriser des microclimats parcellaires en particulier par une meilleure rétention de l'eau évacuée par les plantes grâce à une diminution des vents. Ce micro climat intraparcellaire est très local et ne se diffuse pas d'où l'intérêt de multiplier ses infrastructures.
Enfin, n'oublions pas que ne pas travailler le sol permet de diminuer la dépendance au pétrole et donc limite l'émission de gaz à effet de serre. Couplé au meilleur stockage de carbone par l'augmentation de la matière organique, on voit bien là tout l'intérêt de l'agriculture de conservation des sols aussi bien dans l'adaptation aux changements climatiques que dans leurs atténuations.
A ces intérêts spécifiques de l'agriculture de conservation des sols, il ne faut pas oublier les autres solutions à disposition de tous les agriculteurs que sont l'amélioration génétique par des variétés et des espèces mieux adaptées au contexte pédoclimatique, la bonne utilisation des outils numériques en particulier sur une gestion plus fine des différents intrants et, enfin, le matériel avec par exemple l'optimisation de l'irrigation par des capteurs et une connaissance plus fine de la circulation de l'eau dans les sols.




Témoignage d’Antoine Bouin, agriculteur en ACS dans le Pas de Calais, en ACS depuis 8 ans

​​​​​​​Sur une exploitation connaissant des parcelles vallonnées sur des sols argileux et des sous-sols crayeux, Antoine et sa famille cultivent blé, orge, maïs, lin et betteraves. Du colza et du tournesol aussi qu’elle transforme en huile sur la ferme depuis 16 années.





Les observations du changement climatique sur la ferme se font à 2 titres ces dernières années : d’abord avec des printemps secs et difficiles à gérer et ensuite avec des automnes très pluvieux.
Pour gérer ces automnes, l’Agriculture de Conservation des Sols est vraiment la solution toute trouvée. Quand on couvre, la différence est visible par rapport aux observations que l’on peut faire chez les voisins. Surtout comme cet automne où les inondations et coulées de boue ont été particulièrement dévastatrices dans le département…
Pour les printemps, on observe directement les conséquences sur les rendements moyens, sur le lin par exemple c’est flagrant sur les 5-6 dernières années qui sont en baisse. Cela amène à se questionner sur l’assolement forcément et sur la valorisation économique. On a pensé à augmenter la sole de tournesol par exemple pour compenser d’autres cultures de printemps mais la filière n’est pas suffisamment développée dans le département où on ne peut faire du tournesol que sous bâche en raison des difficultés de réchauffement… On garde donc une surface que nous sommes en capacité de valoriser par la transformation d’huile extraite à froid.
C’est dans ce même esprit de diversification et d’adaptation aux changements climatiques que nous avons au printemps 2021 planté 3ha de vignes sur des parcelles vallonnées à proximité du corps de ferme. En blé, elles ne faisaient que 40qtx mais pour de la vigne le potentiel est totalement différent, l’arbuste sarmenteux va chercher son enracinement beaucoup plus profondément et la parcelle choisie est idéale.

Le droit à planter des vignes en dehors des zones d’appellation existe depuis 2017. Nous faisons partie des rares sur le département à avoir fait ce pari : pourtant les régions historiques de viticulture sont directement menacées par les sécheresses à répétition et l’avancée vers le Nord des zones adaptées à cette culture est bien observable. Avec 5 années en général entre la plantation et la 1ère bouteille vendue, c’est un travail de longue haleine ! Pour faire les bons choix, nous nous sommes entourés : les portes greffes ont été choisis en fonction du contexte pédoclimatique afin de s’assurer de la maturité du raisin et ce sont des cépages de la champagne : chardonnay blanc, pinot noir et pinot meunier qui ont été choisis.

Et comme l’ACS n’est jamais loin, l’interrang est toujours couvert et enherbé (avec une fétuque ovine qui n’a pas besoin de beaucoup d’eau avec une pousse lente et d’un trèfle blanc nain pour l’apport d’azote). Pour le moment, le rang est désherbé mécaniquement à la bineuse mais Antoine réfléchit déjà à recourir à des couverts végétaux : phacélie, légumineuses… Tout reste à faire pour trouver les espèces qui vont se détruire facilement après avoir joué leur rôle pendant l’hiver.
5 500 kg de raisins ont été récoltés fin septembre 2023 à l’occasion des premières vendanges sur un premier hectare de vignes. Le travail de fermentation peut commencer ! Rendez-vous en 2025 pour déguster les premières bouteilles de vin blanc effervescent (en méthode traditionnelle) “Made in Pas de Calais”.

Témoignage de Thomas Leroux, céréalier dans la Somme en ACS depuis 5 ans et labellisé Au Cœur des Sols

Je cultive 276ha avec majoritairement blé, pois, colza puis maïs orge.

En 2022, mes champs n'ont reçu que 330mm dans l’année, c’est 50% de moins que la moyenne du département ! Des échanges avec Serge Zaka, un climatologue reconnu, m’ont permis de comprendre que la topographie autour de ma ferme conduisait à sa sensibilité toute particulière aux évolutions climatiques récentes. Au-delà de cette année exceptionnelle, en termes de pluviométrie, j’observe que la moyenne qui était plutôt de l’ordre de 650mm sur les 10 années passées se rapproche plus des 580mm les 5 dernières années.

Si je fais le bilan des 5 dernières années, j’ai connu quelques autres événements que je mets directement en lien avec les changements climatiques et qui m’amènent à me questionner profondément sur mes choix stratégiques à venir : des parcelles de colza dévastées par le passage de forficules (pinces oreille), des pois d’hiver dévorés par des limaces en janvier, des ronds de taupins qui se développent de façon exponentielle depuis les dernières campagnes… J’imagine que les hivers plus doux y sont pour quelque chose.

J’ai commencé à modifier quelques pratiques : 

  • Je suis passé à l’azote solide qui au-delà de la simplification du travail que cela apporte semble mieux assimilé par les blés quand la pluviométrie du printemps est faible. J’avais plutôt tendance à brûler les feuilles en liquide, maintenant je gagne en protéine
  • J’ai simplifié mes mélanges de couverts. Avant, j’achetais une partie de mes semences, je faisais des mélanges à 6-7 espèces. Aujourd’hui je limite les frais, je construis mes mélanges sur base des espèces autoproduites ou que j’échange avec des agriculteurs voisins, je valorise pleinement mon trieur par ce biais
  • Je faisais du semis des couverts une priorité après moisson : l’expérience de 2022 m’a appris à attendre l’humidité avant d’engager des frais ! Investir dans le couvert OUI mais seulement si on sait que tous les paramètres sont en la faveur d’un bon développement de biomasse
  • j’ai diminué le nombre de cultures en rotation : ces dernières années j’avais pris des risques en testant de nouvelles cultures, ça n’a pas toujours été un succès… Aujourd'hui je me recentre sur ce qui fonctionne. Malheureusement, le changement climatique nous fait augmenter l’incertitude et la prise de risque économique sur nos fermes et chez moi, ça amène à la recherche d’une certaine sécurité en me recentrant sur les cultures que je maîtrise bien ;
  • pour diminuer les charges sur l’exploitation, je me suis associé à un voisin pour utiliser le matériel en commun (semoir, herse à paille..)


​​​​​​​La résilience du système ACS face aux changements climatiques est indéniable, je l’ai vu en 2022 sur mes maïs qui malgré le peu de pluviométrie reçu sur leur cycle ont donné de bons résultats. Pour autant, mes décisions sont parfois économiques et obligent à retravailler, se passer de couverts… pour gérer par exemple des populations d’insectes ou accélérer le réchauffement au printemps en surface.

Témoignage de Benjamin Audé, agriculteur à la Foye Montjault (79) en ACS depuis 5 ans, labellisé au cœur des sols


​​​​​​​Depuis 5-7 ans je constate sur mon exploitation que les évènements climatiques extrêmes sont de plus en plus fréquents et qu’ils impactent négativement le rendement des céréales. L'automne 2019 et l’hiver 2020 ont été très pluvieux, suivis d’une sécheresse au printemps (Mars à Mai) ce qui a altéré le rendement des céréales. J’ai alors récolté 50 quintaux. En 2021 nous rencontrons à nouveau une sécheresse printanière, je récolte alors 45 quintaux. 2022, à nouveau une sécheresse printanière je récolte 29 quintaux. 2023 année normale je réalise le rendement moyen de l’exploitation 60-65 quintaux. Et 2024 à nouveau un automne et hiver très pluvieux. A chacun de ces événements climatiques (sécheresse et excès d’eau), mon père me dit ne jamais avoir connu ça de sa carrière, alors que sur les 5 dernières années j’ai rencontré seulement 1 année dans la normale de mon père.

Cette réflexion m’a interrogé. Nous accueillons régulièrement sur l’exploitation des stagiaires depuis 1989, j’ai regardé la pluviométrie et répartition de chacun des rapports. J’ai alors constaté au fil des années un même volume d’eau de pluie sur l’année, mais une répartition qui devenait de plus en plus marquée. Avec plus d’eau l’hiver, moins l’été, et des périodes de sécheresse de plus en plus longue. Les effets annoncés du changement climatique se font clairement ressentir sur ma ferme.
Dans ce contexte pédo climatique spécifique, et sans attendre les effets du changement climatique, j’ai fait évoluer les objectifs de la ferme et apporté des modifications dans les assolements. Ainsi les objectifs de rendement hectares et charges sont revus à la baisse.

Dans un premier temps, le passage en ACS me permet une meilleure gestion dans les sols, et de limiter au maximum son évaporation par le travail du sol. Garantissant ainsi une meilleure levée des cultures. L’ACS me permet également d’augmenter la matière organique de mon sol et donc d’augmenter un petit peu la RFU du sol.


  • J’ai remplacé le blé tendre par de l’orge fourragère, le blé est moins rustique et son cycle plus long par rapport à celui de l’orge fourragère, cela me permet de produire 10 à 15 quintaux de plus qu’avec le blé.
  • J’ai diminué les densités de semis en céréales, je suis passé de 300-320 grains au m² à 200-250 grains/m². Afin de limiter la concurrence entre les plantes. Baisse des densités validée par mon expérience en 2022. En 2022 mes semences avaient un mauvais taux de germination, la population était de 150 pieds/m². J’ai décidé de garder la culture et diminué la quantité d’azote apportée à 100 unités au lieu de 150 unités/Ha. Dans le contexte de 2022 j’ai récolté 29 quintaux de céréales, même niveau de rendement que les voisins en conventionnel avec 180 Unités d’azote et 320 grains/m².
  • J’ai mis en place de la luzerne fourragère, elle est intégralement vendue. Je trouve qu’elle est bien adaptée à la sécheresse et permet une marge constante.
  • Pour la culture du colza, historiquement je le sème très tôt dans l’été (début Juillet), profitant au maximum de l’humidité résiduelle du sol, afin d’assurer les levées. Mes colzas sont alors suffisamment développés pour résister aux grosses altises. M’évitant ainsi le passage d’un insecticide. Les effets du changement climatique me confirment la mise en place et le maintien de cette stratégie sur ma ferme.
  • J’ai essayé de diversifier mon assolement avec la mise en place de culture à forte valeur ajoutée comme les semences de couvert ou la culture de Carthame. La Carthame est une plante originaire des pays arides, elle donc bien adaptée à la sécheresse et très mellifère. En revanche, c'est un marché de niche, je ne peux pas en faire une trop grande surface.
  • Toujours dans cet esprit de diversification j’ai mis en place des chênes truffiers, même si cela ne correspond pas réellement à un changement pratique vis-à-vis du changement climatique.


Aujourd’hui nous savons que la zone intermédiaire Poitou Charente sera l’une des régions la première impactée par les effets du changement climatique. Vu la vitesse du changement climatique, son impact sur l’agriculture du territoire et le manque solutions (techniques et économiquement viables) proposées pour y faire face, je pense que l’agriculture telle que nous la connaissons sur mon territoire est vouée à disparaître. A quelle échéance je ne sais pas.

Témoignage de Jean François Ingrand, agriculteur à Paizay le Tord (Deux Sèvres), en transition vers l’ACS depuis 2020

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Face au dérèglement climatique et aux conséquences (intensification des sécheresses) pour ma ferme j’ai mis en place quelques actions pour y faire face.

Tout d’abord je m’aperçois que mes pratiques agricoles répondent tout à fait aux enjeux du changement climatique. Même si je ne suis pas passé en ACS pour cette raison, je constate ses effets bénéfiques sur mes cultures. 

Au niveau des espèces cultivées, je choisis des variétés plus précoces en blé et j’ai introduis la culture de l’orge d’hiver dans la rotation.  En parcelle non irriguée, j’ai fait le choix de maïs plus précoce.



​​​​​​​J’ai également diversifié mes assolements. J’ai donc diminué les surfaces des cultures exigeantes en eau comme le maïs au profit du tournesol, pois chiche et pois.

Dans cet esprit de diversification j’ai également introduit la culture du bambou, que j’irrigue à l’aide d’un goutte à goutte. C’est une plante pérenne qui consomme de l'eau au printemps et très peu en été. De plus, elle capte énormément de carbone.

Je souhaite également mettre en place des haies, afin notamment d’essayer de réguler le climat intraparcellaire. A terme, cela pourra permettre de créer une dynamique de plantation de haies sur mon territoire, dans l’espoir que cela ait un impact concret sur la régulation locale du climat.

Témoignage de Oussama Rabah, agriculteur à Trine Chtouka (Maroc) en ACS depuis 2016

​​​​​​​Je me suis installé en 2007 à Tnine Chtouka entre Casablanca et El Jadida. Je suis à 15 km de l'océan Atlantique, sur 50 hectares de terre à plus de 80 % de sable. J'élève des taurillons à l’engraissement et je ne produis que du fourrage à destination des animaux. 

Jusqu'en 2015, j'étais naisseur-engraisseur avec 80 limousines et des croisements limousine - Montbéliarde. Je faisais 2 récoltes par an :  De novembre à mars un mélange de céréales immatures à base d'avoine, triticale et orge ainsi que 5 ha de pois fourrager, le tout récolté en ensilage. Puis, fin avril, je semais 35 Ha de maïs ensilage, irrigué au goutte à goutte.  J’avais aussi 5 Ha de luzerne irriguée. Le goutte-à-goutte était approvisionné par 3 forages et une réserve de 20000 mètres cubes. 

À partir de 2015 le changement climatique a été important et soudain, amplifié par le phénomène d’el Niño. Cette année-là, il a plu moins de 150 mm sur l'année entre novembre et mars. Ce fut une véritable débâcle avec de très mauvaises récoltes de printemps et la quasi disparition de l'eau des nappes. Il fut impossible d'arroser et donc nous n’avons quasiment rien récolté en maïs. Ceci s’est poursuivi et amplifié les années suivantes.

Aujourd'hui il n'y a quasiment plus d'eau dans les nappes. La seule eau qui reste est conservée pour abreuver les animaux en sachant que ça commence à être de l'eau saumâtre à une concentration de 5 g de sel / litre.  Les animaux s'en accommodent bien même s’ils en consomment davantage pour étancher leur soif.  Je n'arrose plus depuis 2023 ce qui fait que je n'ai gardé que l'agriculture pluviale. Je continue donc un ensilage de céréales immatures à base d'orge et de triticale, chacun issu de semences fermières traditionnelles avec un cycle très court.  Idem pour le poids fourrager (variété Navarro). C’est moins de rendement potentiel mais ça me permet d’assurer une récolte et d’éviter les aléas climatiques qui arrivent de plus en plus tôt.

Cet hiver 2023 - 2024, nous n'avions reçu que 100 mm au 15 mars ; heureusement il est retombé 100 mm fin mars ce qui a permis de bien augmenter les rendements. À cause de cette évolution je suis passé uniquement engraisseur. J'achète désormais les broutards en Espagne car il n'y en a plus assez sur les marchés aux bestiaux locaux. 


Heureusement, j’ai commencé l'agriculture de conservation des sols depuis 8 ans et j'ai mon propre semoir depuis 5 ans. Ce système agricole m'a beaucoup aidé pour affronter les sécheresses, pour repousser l'échéance d'arrêt pur et simple de l'agriculture. Nous sommes un petit groupe d'agriculteurs à pratiquer l'agriculture de conservation des sols et nous avançons ensemble. La seule chose c'est que nous ne pouvons pas faire de couvert entre deux cultures entre avril et novembre car il ne pleut pas. 

Le Maroc est aujourd'hui confronté à une urgence absolue car la grande ville de Casablanca commence également à manquer d'eau. Il y a construction d'une usine de désalinisation de l'eau de mer pour faire face aux besoins de la ville. Les autorités font face à un double défi : assurer l’eau potable pour les villes et l’approvisionnement des marchés en produits frais. Le premier est prioritaire. Notre pays n'est plus autosuffisant ni en lait, ni en viande rouge, ni en céréales. S’il pleut moins de 130 mm en hiver l'agriculture n'est plus possible. Les importations de ces derniers montent en flèche.

L'avenir ici semble très compliqué car on voit bien l'évolution rapide du climat. Pour la première fois nous avons eu plus de 40 degrés début avril et même 35 degrés au mois de février ce qui ne s'était jamais vu. Cette évolution climatique est comme un rouleau compresseur qui avance lentement mais sûrement, pernicieuse et sournoise, c’est une mort lente.  Ça ne fait pas la une des journaux car ce n'est pas spectaculaire mais ça impacte toute l'agriculture et même la vie des habitants. En plus de la sécheresse et des températures élevées en été, nous subissons de plus en plus fréquemment des vents à plus de 100 km / heure et des vagues de chaleur de contre-saison qui impactent énormément les cultures. Un important exode rural se met en place avec les jeunes qui vont à la ville. Pourtant il faudra bien que nous trouvions des solutions puisque nous ne pouvons pas partir de notre pays.  Nous avons un challenge très important à relever mais je ne sais pas comment nous allons faire.

Article écrit par le comité technique de l’APAD.
Si vous souhaitez réagir ou poser des questions sur cet article, envoyer un mail à :
comite.technique.apad@gmail.com













Tous les instants techniques :

1 - Le semis de colza

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2 - Le semis du blé

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3 - Le semis des protéagineux

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4 - Le campagnol des champs

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5 - Innovation & ACS

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6 - La fertilisation en ACS

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7 - Les légumineuses alimentaires

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8 - La culture du tournesol

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9 - Les couverts d’été (partie 1)

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10 - Les couverts d’été (partie 2)

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11 - Témoignage : en ACS depuis 2015

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12 - La gestion des graminées d’automne en système ACS 

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13 - Les ravageurs du sol

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14 - La gestion des oligo-éléments

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15 - Résultats d’essais en ACS du réseau APAD

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16 - La gestion des cultures industrielles en ACS

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17 - Les Matières Organiques en système ACS

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18 - Semis des prairies sous couvert en ACS

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19 - Cultures Intermédiaires à Vocation Energétique

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20 - La gestion de l'eau

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21 - La gestion du parasitisme en ACS

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22 - L’innovation permanente en ACS et le lien aux animaux 

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23 - Analyser l’année culturale pour apprendre

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24 - Introduire le lupin dans sa rotation

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25 - Le miscanthus : une culture à découvrir !

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26 - L’observation est la base d’un système ACS performant

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27 - L'enherbement en ACS

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28 - La fertilisation en ACS – résultats des essais menés par Arvalis

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29 - La gestion des limaces en ACS

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30 - Ouverture et fermeture du sillon pour les semis de printemps

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31 - Améliorer le bilan carbone de sa ferme

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32 - Le blé dans la rotation

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33 - Réussir sa transition en Agriculture de Conservation des Sols (ACS)

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34 - Les adventices en agriculture de conservation des sols

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35 - Les couverts végétaux d’interculture et la gestion de l’enherbement

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36 - Bilan de la campagne 2022 2023

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37 - L’ACS pour un bon équilibre : « Si nos sols sont en bonne santé, nos vaches et nous aussi. »

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38 - La gestion de la compaction en Agriculture de Conservation des Sols

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39 - Retour sur la journée technique nationale

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40 - Les couverts pluriannuels en Agriculture de Conservation des Sols

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41 - S’adapter aux changements climatiques en grandes cultures

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