Publié le 30/06/2025Télécharger la version pdf





L’agriculture de Conservation des Sols
en Lituanie





Paysage agricole typique de Lituanie
​​​​​​​où la forêt reste omniprésente.


A l’invitation de Pierre Costa, agriculteur français installé en Lituanie et membre du groupement des producteurs de grains de Lituanie, Thierry Gain, coordinateur technique de l’APAD s’est rendu dans ce pays afin d’y présenter l’ACS, l’APAD et la gestion des limaces. Nous vous proposons dans cet instant technique de découvrir ce pays Balte qui a fait une véritable révolution de son agriculture depuis son indépendance et où l’ACS, comme en France, reste un système marginal même si l’Etat le subventionne très correctement.



Depuis son indépendance en 1990, l’agriculture lituanienne a connu une transformation profonde, marquée par la transition d’un système collectiviste hérité de l’Union soviétique vers une économie de marché intégrée à l’Union européenne. Pendant l’époque soviétique (1940–1990), l’agriculture était entièrement collectivisée avec deux types principaux d’exploitations : les kolkhozes (fermes collectives, théoriquement des coopératives) et les sovkhozes (fermes d’État). Les terres privées étaient interdites et les agriculteurs étaient des salariés ou des coopérateurs sans propriété foncière sauf un petit jardin pour cultiver ses légumes.


Voici un aperçu de cette évolution, en plusieurs grandes phases :



1. Période de transition (1990–2004)


Durant cette période, la décollectivisation est rapide : les kolkhozes et sovkhozes sont démantelés.  Les terres sont restituées soit à leurs anciens propriétaires ou à leurs descendants soit chaque lituanien reçoit 3ha de terres. On assiste donc à un morcellement des exploitations avec de nombreuses petites exploitations, souvent peu rentables et des nouveaux propriétaires pas forcément formés aux techniques agricoles et à une économie de marché. De même l’amont et l’aval s'organisent petit à petit en démarrant de quasiment 0. En parallèle, les ouvriers agricoles formés perdent leur outil de travail et se retrouvent avec, souvent, uniquement 3ha de terres. En conséquence, cette période a été marquée par une baisse de la production et de la productivité, un fort manque de mécanisation (les équipements collectifs (tracteurs, silos, etc.) n’ont pas toujours été redistribués équitablement) et un certain exode rural. Cette évolution vers la privatisation est rapide car en 1997, 90 % des terres arables sont restituées ou privatisées.



2. Préparation et intégration à l’Union européenne (2000–2004)


Pour limiter le risque de reconquête de son territoire par la Russie, la Lituanie, comme les 2 autres pays baltes, la Lettonie et l’Estonie, a souhaité mettre tout en œuvre pour adhérer au plus vite à l'Union Européenne et à l’OTAN. On voit bien aujourd’hui toute la pertinence de ce choix stratégique.  Cette évolution rapide vers l’UE a conduit la Lituanie à moderniser sa politique agricole pour se conformer aux exigences de la PAC (Politique agricole commune), à créer des organisations de producteurs et de coopératives et à améliorer les infrastructures rurales (routes, irrigation, transformation agroalimentaire).
Durant cette période, de nombreux agriculteurs revendent leurs terres obtenues durant la décollectivisation et les fermes restantes grossissent leur permettant d’investir dans du matériel performant, de se former aussi bien techniquement que pour la vente de leur production dans une économie de marché.  



3. Période post-adhésion (2004 – aujourd’hui)


Grâce à ses efforts, la Lituanie adhère à l’UE le 1er mai 2004. Ceci permet l’arrivée des subventions européennes et donc un fort soutien financier pour l’investissement, la diversification et le développement rural, une modernisation des exploitations : Mécanisation, irrigation, technologies agricoles (GPS, serres modernes, etc.) et le début de l’exportation de la production agricole lait, céréales, viande et œufs.



4. Enjeux actuels (2020–2025)


Comme dans le reste de l’UE, la Lituanie fait face à de nombreux défis : le vieillissement de la population agricole, la migration des jeunes vers les villes ou à l’étranger, des pressions environnementales en forte augmentation (érosion, qualité des sols, biodiversité, émissions de GES) et le besoin de s’adapter aux changements climatiques.
A titre d’exemple, l’ACS n’est pas aidée directement mais une aide existe pour le semis direct, une autre pour l’implantation de couverts végétaux et une pour la diversification de l’assolement.  Ça peut être ainsi 200 €/ha d’aide qui peuvent être obtenus pour des pratiques reconnues pour leur durabilité.



Bilan


Ce très rapide historique montre que la transformation de l’agriculture lituanienne est réussie dans l’ensemble, avec une intégration complète à l’économie européenne et une agriculture compétitive et exportatrice.  Cependant, elle est maintenant confrontée à des défis sociaux et environnementaux ainsi qu’à l’apparition de parasites non connus jusqu’alors : la vulpie, le ray-grass, les limaces, etc.  Ceci est d’autant plus vrai que les techniciens pointus dans le domaine agricole sont rares et donc la résolution des problèmes plus difficile.



Quelques chiffres importants


En 2022, la surface agricole utile s’élevait à 2,9 millions d’ha, dont 2,29 millions d’ha de terres arables, contre environ 2,1 M ha en 2018 ce qui représente moins de 50 % de la surface nationale.  Les forêts représentant une bonne part du reste de la surface. Ces près de 3 millions d’hectares sont cultivés par 132 076 exploitations agricoles (nombre divisé par 2 en 20 ans !).
Les principales productions sont le blé (2,8 M t), la betterave sucrière (888 000 t), l’orge (619 000 t), le colza (433 000 t) et la pomme de terre (296 000 t).
Cette production permet à la Lituanie d’exporter pour 3,165 milliards d’€, soit environ 19 % du total des exportations.



Focus sur l’Association lituanienne des producteurs de grains :


Fondée en 1997, la LGAA est une association indépendante à but non lucratif. Elle regroupe des producteurs de céréales, grands exploitants comme petits agriculteurs. Elle compte environ 195 membres, qui cultivent à eux seuls plus de 62 000 hectares.  
Elle travaille sur :

  • La coordination des actions pour défendre les intérêts communs des agriculteurs de céréales.
  • La représentation de ses membres auprès des autorités étatiques, et leur défense juridique lorsque nécessaire.
  • L’organisation de réunions, séminaires, publications de recommandations techniques ou politiques.
  • Le dialogue avec le ministère de l’Agriculture et la participation aux discussions sur les aides européennes, les réglementations phytosanitaires ou l’assurance récolte.

La LGAA joue donc un rôle central dans le secteur céréalier lituanien : elle fédère les producteurs, influence les politiques agricoles, organise débats et formations et œuvre pour améliorer les conditions de marché et la reconnaissance des agriculteurs.
Elle pourrait s’apparenter à un syndicat agricole français mais avec beaucoup moins de puissance de lobbying et un historique moindre. Elle travaille également uniquement avec les producteurs de grains donc avec moins de polyvalence.
On retrouve cependant dans cette organisation quelques agriculteurs en Agriculture de Conservation des Sols. Ils ne sont pas assez nombreux pour avoir une entité spécifique mais, comme en France, ce sont souvent les agriculteurs les plus engagés et les plus apporteurs de solutions techniques aux problématiques rencontrées.
C’est ainsi que Gytis Narbutis, un agriculteur lituanien,  a mis en place un système en ACS avec couverts pluriannuels et une faible fertilisation azotée. Son objectif étant que le sol pourvoit au maximum à l’alimentation de la plante. Il sait qu’il prend des risques mais les premiers résultats sont encourageants au niveau des marges obtenues. Il partage beaucoup d’observations de ses parcelles sur YouTube (No-till akadomija) afin de contribuer à la vulgarisation de ses pratiques.



Pour 200 €, il est possible d'avoir une immatriculation particulière : Gytis n'a pas hésité à valoriser le No-Till !



 
Pierre Costa (à gauche) avec Gytis Narbutis tous deux adhérents de l'association des producteurs de grains et en ACS





Témoignage de Pierre Costa, agriculteur français installé en Lituanie, en ACS depuis 12 ans

Je suis originaire de l'Yonne, près d'Auxerre. Mes parents étaient agriculteurs mais j'ai préféré m'installer dans un autre pays. Un peu par hasard j'ai eu une opportunité en Lituanie et je m'y suis installé en 2000. J'ai pu m'installer sur 160 hectares issus d'un ancien kolkhoze dont les parcelles étaient en friche. Suite à différentes opportunités d’agrandissement, je cultive maintenant environ 500 hectares. Pour m'aider dans mes travaux j'ai deux salariés : les fenêtres pour réaliser les différents travaux peuvent être courtes et il faut alors être très efficaces d’où l’importance d’avoir du personnel motivé et habitué à la ferme. Je suis dans un environnement très boisé mais sans problème de gibier : les chasseurs sont ici efficaces ! Mes terres sont sableuses mais comme il pleut régulièrement ce n'est pas un problème ; cependant, avec le changement climatique, on voit une modification du régime des pluies avec des périodes sèches qui peuvent durer en fin de printemps et des gels tardifs pouvant fortement impacter les cultures.
J'ai décidé de passer en ACS depuis une douzaine d'années à cause de gros problèmes d'usure avec des rochers granitiques et parce que je préfère avoir des pratiques économes avec des résultats de durabilité intéressants : j’utilise ainsi peu d'engrais et globalement peu d’intrants.  Les rendements sont de toute façon assez limités à cause d’une météo souvent difficile.
Pour avoir une bonne vigueur de départ (c’est important ici avant l’hiver et au printemps car la saison peut être courte), je mets systématiquement de l'engrais au semis de type 18-46 pour les cultures de printemps ou super 18 pour les cultures d'automne. 
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Mélange pois - blé: les 2 cultures sont récoltées en même temps puis triées et séchées


Concernant la conduite technique du blé tendre, je sème entre début et mi-septembre maximum. Il est nécessaire d'avoir des plantes bien tallées avant l'hiver qui reste rude dans nos régions. Je fais un désherbage d'automne assez léger avec un rattrapage au printemps. Je mets environ 120 unités d'azote pour un rendement moyen de 50 quintaux. Je peux y ajouter éventuellement 30 unités pour les protéines si le potentiel est présent. Par exemple, cette année nous avons eu des gels tardifs (- 7 degrés) en début mai ce qui va impacter le rendement. Nous pouvons aussi avoir régulièrement des problèmes de pluie à la moisson ce qui entraîne une germination sur pied. Dans certaines situations je peux également anticiper la moisson par un fauchage et un andainage. Ça peut aider dans les situations limites. 
Je trie et je sèche quasiment toutes les récoltes car je suis souvent à plus de 18% d'humidité, sachant que je commercialise directement au port. Il faut donc que mes céréales soient bien sèches. Je préfère vendre au port que de passer par les coopératives car ça me permet de simplifier la vente. 
Je sème mes couverts sous la moissonneuse-batteuse. 


 
La trémie installée sur la moissonneuse
 


J’ai installé une trémie de 500 litres dans laquelle j'ai installé une caméra pour gérer le remplissage. Les graines sont soufflées. En arrivant à la rampe, un système d'éclateur tous les mètres environ disperse les graines avant que la paille ne les recouvre. Ça me permet de faire la moisson tout en semant de façon efficace puisqu'il faut maximum 2 minutes 30 pour charger la semence. Il pleut souvent donc je n'ai pas de problème particulier pour la levée et même s’il fait sec les graines peuvent attendre. La levée est juste satisfaisante mais très rapide en général. Mon couvert est assez simple à base de radis, moutarde, sarrasin. 










Et le système d'éclateur pour épandre les graines du couvert





Comme en France, les apiculteurs apprécient les agriculteurs en ACS !


Les cultures que je fais sont : le radis, lupin, blé tendre, mélange pois blé, féverole et peut-être demain un mélange féverole cumin. Il m'arrive aussi de faire du colza de printemps si la culture d'hiver est ratée avec par exemple des gels trop importants ou des difficultés de levée. 
 


Parcelle de lupin, une culture que réussit bien Pierre

 


Colza de printemps semé derrière un blé tendre raté


Ici, l’ACS n'est pas forcément un système très développé car les gens ont plutôt des conduites traditionnelles. De plus, l’ACS est souvent vue comme un système d’agriculteurs peu courageux dans un pays où le travail et l'entrepreneuriat est dans les gènes des habitants. 
Pour le GNR, nous avons un quota de 120 litres par hectare sans possibilité d'en avoir plus. Pour moi qui suis en ACS c'est largement suffisant. 

En tant que français j'ai été très bien accueilli par les Lituaniens. J'essaye également d'être vigilant à avoir des pratiques respectueuses de l’environnement : j'aime bien semer par exemple du tournesol dans certains bords de parcelles pour qu'ils fleurissent au mois de septembre, période à laquelle les enfants apportent des fleurs à leur maîtresse. C'est important de donner une bonne image de l'agriculture ! 
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Je fais également partie d'une association de producteurs de grains dans laquelle quelques agriculteurs travaillent en ACS. Même si la majorité sont plutôt dans un système TCS. Ça me permet d'organiser régulièrement des séminaires afin de faire découvrir l'agriculture française et d'apporter des éléments techniques qui peuvent éventuellement nous manquer ici.




Article écrit par le comité technique de l’APAD.
Si vous souhaitez réagir ou poser des questions sur cet article, envoyer un mail à :
comite.technique.apad@gmail.com




















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54 - L’agriculture de Conservation des Sols en Lituanie

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