Publié le 22/09/2022 | Télécharger la version pdf |

Analyser l'année culturale pour apprendre
Retour sur cette année culturale atypique et apprentissage
Le couvert permanent de luzerne peut être une réponse pour avoir un sol couvert en été | Cette année climatique a connu son lot d’excès de température et de semaines sans pluie. Ce que disent les scientifiques du GIEC depuis plusieurs années se vérifient à une vitesse qui a été sous-estimée. Même si les caractéristiques de cette année seront sûrement différentes l’an prochain, il est important de faire le point de cette année et d’en tirer des enseignements pour toujours mieux maîtriser le système ACS. Cet Instant technique fait le point avec des retours d’expériences d’associations locales et des témoignages. |
Au niveau climatique, on peut sans trop de risque affirmer quelques tendances qui se dessinent :
Données climatiques | Impacts sur les cultures |
Des hivers plus doux avec le nombre de jours avec gelées fortes qui diminue fortement jusqu’à arriver à 0 dans de nombreuses régions | Une pression parasitaire plus longue (limaces, …) Développement végétatif quasi ininterrompu Le nombre de jours de destruction du couvert par roulage peut être nul |
Des gelées tardives plus impactantes car la végétation reprend son développement plus tôt | Risque de gel d’épi Impacts sur les cultures de printemps semées tôt |
Des pluies de printemps qui se font plus rares, période pouvant continuer jusqu’en été | Gestion des couverts qui pompent l’eau Concurrence forte entre rendement méteil et maïs Choix des dates de semis des cultures plus complexes |
Août et septembre très aléatoire en pluviométrie | Gestion des semis de colza et de couverts d’été |
Des températures globales plus élevées avec des pics de chaleur estivaux | Risque d’impacts très élevés sur la fécondation des plantes en fleurs Risque d’échaudage plus élevé |
2 associations locales se sont retrouvées pour échanger sur les enseignements de ces évolutions à l’APAD Picardie et l’APAD Centre Atlantique. Les participants ont accepté de partager leurs conclusions dans cet instant technique. A la suite, 4 agriculteurs ont été interrogés pour donner leur retour d’expérience.
Retour des travaux des APAD Picardie et Centre Atlantique
Les couverts d’été
Même si leur développement est très dépendant de la pluie, on voit que certaines pratiques permettent des résultats corrects avec très peu d’eau.
La réussite du semis à la volée avant moisson reste aléatoire même avec de l’enrobage à l’argile ou autre pratique. Il y avait quelques belles réussites en 2021 (mais avec un fort salissement des parcelles) mais quasiment aucune réussite cette année.
Pour les espèces, voici les plantes qui semblent les plus résistantes au stress hydrique : Tournesol, sarrazin, sorgho piper, moha, millet, phacélie. En légumineuses, la vesce velue montre de bons résultats. Il faut maintenant travailler sur les variétés car il existe de grosses différences au sein d’une même espèce. Même s’il est encore difficile d’identifier la variété semée (les fournisseurs sont souvent flous sur cette notion), il faudrait pouvoir le faire.
Le roulage est indispensable après semis
La densité de semis est aussi un critère important mais qui ne fait pas l’unanimité : certains préfèrent semer dense pour couvrir rapidement le sol ; d’autres trouvent que cette densité impacte le développement du couvert qui ne fait plus assez de biomasse ! Du travail d’expérimentation à prévoir !
Le semis au semoir à dent est largement préférable pour enfouir la graine voire à disque suivant la quantité de paille. Le semis dans les 24 heures après moisson reste une certitude même si, quand le profil est complètement sec à la moisson, aucune graine n’est en capacité de germer. S’il reste un peu d’humidité, il est possible de semer à une profondeur de 4 à 5 cm sauf pour moha et phacélie. Dans ce cas, avec un semoir à disque, on peut essayer de semer avec la soufflerie au maximum ce qui met les petites graines plus en surface.
La présence de paille est souvent source de difficulté : pour la gestion des mulots, pour la qualité du semis, pour une bonne implantation du couvert. Pourtant, un bon paillage permet au sol de garder une certaine fraîcheur. Entre moissonner haut, passer la herse à paille, nourrir le sol, etc, autant d’objectifs parfois antagonistes d’où la nécessité de prioriser les problèmes à gérer ! Du travail de formation pour les groupes cet hiver !Une légère fertilisation azotée apporte un réel plus sur le développement du couvert. Les contraintes administratives sont fortes et, suivant les régions et les secteurs, il est nécessaire d’être vigilant sur les autorisations. Mais il est évident qu’il est utopique de vouloir obtenir beaucoup de biomasse sans nourrir les plantes ! Or on sait que c’est cette biomasse qui permet le mieux de contrer les adventices : le dilemme existe ! Tous les calculs réalisés montrent qu’un léger apport d’azote (20 unités) permet à la plante d’aller capter le double voire le triple d’azote !
Les cultures de printemps
De plus en plus, la gestion de l’eau du sol est primordiale dans la réussite des cultures de printemps. Ce qui signifie que les semis dans un couvert vivant, à part pour faire de belles photos pour les réseaux sociaux, sont un risque trop important. Quelque soit les régions, la destruction du couvert doit être anticipée pour conserver l’eau du sol d’autant plus quand les graminées sont dominantes.
2 bémols à cette pratique : le type de sol joue également et, en sol argileux ou limon hydromorphe, il est souvent nécessaire de laisser le couvert un peu plus longtemps pour arriver au point de ressuyage.
En élevage, la production des méteils se fait souvent au printemps et l’augmentation de biomasse est forte sur le mois d’avril. Dans ce cas, c’est la stratégie globale qui est à revoir avec un choix qui doit s’opérer entre la production du méteil et la production du maïs : gagner sur les 2 cultures, même avec de l’irrigation, devient difficile.Le choix variétal est prépondérant et il faut choisir des variétés adaptées à l’ACS avec 2 critères : la vigueur de départ et la capacité de germer à froid. Certaines variétés de maïs ont la capacité de germer dès 10°C : on est parfois surpris de la température du sol même non travaillé et les semis peuvent souvent être précoce. Le seul point de vigilance est l’absence de pluie dans les 3 à 5 jours après semis car elle refroidit trop le sol.
Certains agriculteurs, par la prégermination ou l’enrobage de semence, arrivent à faire germer les maïs en 5 jours à 10°C ! Ces pratiques permettent alors de lever une partie des risques de parasitisme.En présence d’irrigation, si c’est nécessaire, il ne faut pas hésiter à apporter la première irrigation dès 3 feuilles : ça évite le stress de la plante au moment où elle met en place certaines composantes de son rendement et ça dissous l’engrais starter qui joue alors pleinement son rôle.
Avec de l’irrigation, voici une succession à tester !
Tout début de printemps | Ensilage ou pâturage d’un couvert d’été avec 24 heures maxi par parcelle |
AvrilAvril | Semis du maïs avec un indice précoce (200) |
JuilletJuillet | Ensilage du maïs |
Juillet | Semis d’un méteil d’été qui sera irrigué si besoin |
Automne | Ensilage du méteil |
Automne | Semis céréale ou méteil précoce |
Conclusion
Il existe des périodes de l’année plus favorables pour produire de la biomasse. Il y a quelques années, c’était le printemps qui était le plus favorable. On s’aperçoit qu’une évolution se fait avec des automne plus chaud et une humidité qui revient. L’automne pourrait devenir la période la plus propice à cette production de biomasse. Cependant, nous sommes alors en jours courts donc les espèces doivent être différentes de celles du printemps, en jours longs. Un important travail de sélection variétale doit donc se faire pour trouver les plantes les plus adaptées.
Ce qui est sûr c’est qu’il faudra être très opportuniste sur les période de production de biomasse pour en faire le maximum quand le climat le permet ! Et que l’ACS restera un système exigeant sur le suivi technique mais tellement valorisant sur les opportunités à saisir !
Témoignage d’Olivier Née, agriculteur à Pierrecourt (70), en ACS depuis 2011
Semis couvert triticale avoine pois fèverole tournesol vesce sarrasin à 110kg/ha le 17/08 | Comme je récolte la paille, j’ai mes sols nus après moisson et le sol sèche et devient très dur. Impossible de bien semer dans ces conditions. J’attends donc la pluie qui est venue cette année le 15 août avec 6 mm. C’est peu mais suffisant pour semer colza + fenugrec avec mon semoir à disque. La levée a été très rapide et homogène. Il a ensuite plu 30 mm en 4 fois donc le développement est satisfaisant. Comme je suis maintenant sûr de la réussite, je vais épandre de la fiente de volaille et du lisier de porc en remplacement de l’azote minéral vu son prix. |
J’ai le même raisonnement pour les couverts d’été à base de triticale, avoine, féverolle de printemps, vesce velue, tournesol et sarrazin. Je fais un enrubannage en automne et ce couvert va passer l’hiver. Il est détruit au printemps 1 mois avant le semis du tournesol.
A l’avenir, je vais sûrement m’équiper d’un semoir à dent en plus du semoir à disque pour gagner en opportunité de semis suivant le climat.
Luzerne de 2 ans prête à être récoltée | Je ne fais plus de maïs car le rendement est trop aléatoire dans mes sols superficiels sans irrigation. J’ai opé pour le couvert permanent à base de luzerne. Elle est implantée avec le colza : 20 kg de luzerne avec 5 kg de colza. Je la valorise ensuite par 1 coupe en automne après récolte du colza et broyage des cannes. Je sème ensuite le blé dedans (la luzerne est fauchée juste avant le semis et laissée au sol). Je la maîtrise dans le blé avec possibilité d’avoir, à la moisson, de la luzerne dans la paille ce qui permet d’augmenter sa valeur. Je refais ensuite une coupe en automne suivant avant implantation d’une orge de printemps semée à la mi-novembre. |
Je trouve que, dans mon secteur, le couvert pluri annuel, est une bonne réponse au changement climatique et sécurise mes rendements de fourrage sans trop de frais. Je pense avoir pris la bonne décision dans l’état actuel de la situation climatique et économique.
Témoignage de Bruno Génin, agriculteur à Vavincourt (55) , en ACS depuis 2015
Colza associé avec du sarrazin en 2021 | Cet été est compliqué avec les alternances pluies - sec. J’ai quand même semé mon colza aux dates habituelles mais la levée a été hétérogène à cause des phases d’humectation et d’assèchement des graines. Cette levée clairsemée avec un mois de retard est très sensible aux ravageurs. Je dois donc « rapiécer » ce qui n’est jamais satisfaisant. |
J’essaie de semer du couvert pluri annuel (luzerne, trèfle) avec le colza dans les parcelles sans problématique adventice importante. Les réussites sont bonnes quand le colza ne prend pas toute la place ; dès qu’il est vigoureux avec une belle végétation, il étouffe la plante compagne qui disparait. Pour moi, c’est toujours le colza qui est prioritaire et je n’hésite pas à désherber si c’est nécessaire même si le couvert pluri annuel en pâti.
J’ai déjà essayé de semer ce couvert en sortie hiver mais les rémanences d’herbicides impactent la levée même avec des produits qui devraient, théoriquement, ne plus avoir de rémanence. La fertilisation azotée de la culture augmente aussi la concurrence au profit de la culture en place.
Dans mes couverts d’été, je mets systématiquement du colza qui est une crucifère pas cher et qui ne fleurit pas en automne. Si, en sortie hiver, le colza est homogène, je le conserve comme culture quitte à avoir une sole de colza importante : la réussite des cultures de printemps reste aléatoire alors que, là, j’ai un bon potentiel déjà en place.
Témoignage Guillaume RATZ, agriculteur à Castelnau Montratier (46) en ACS depuis 2014
Méteil avant sa fauche (mélange de féverole, pois, avoine, vesce, trèfle, seigle forestier, semé le 19/10/21) / Alicia Regis | Mon exploitation de polycultures-élevage se trouve sur un sol argilo-calcaire. Ma SAU est de 150 ha irrigables et je possède un troupeau de vaches laitières de 90 UGB. |
Dans ma région, les pratiques habituelles amènent les agriculteurs à semer le maïs sur sol frais vers le 15-20 avril. A cette époque, mon méteil n’est pas assez développé et le rendement ne serait pas suffisant ; c’est au cours des 15 derniers jours qu’il triple de volume pour atteindre 5 à 6 T de MS/ha. Je souhaiterais pouvoir atteindre ces rendements dès le mois d’avril, mais les espèces comme la vesce et le pois ne reprennent leur développement après la sortie de l’hiver, que tardivement, fin mars.
J’utilise ainsi l’irrigation pour sécuriser l’implantation du maïs, car ici il peut faire très chaud l’été, comme se fut le cas cette année. J’irrigue dès le semis en mai pour faire lever le maïs, puis tout l’été. Cette année, j’ai fait 4 tours d’eau de 30 à 40 mm chacun, je n’ai pas été concerné par la restriction car j’irrigue la nuit grâce à des lacs privés. Les conditions météorologiques sont particulières cet été, et je constate que mes maïs sont moins hauts qu’habituellement, mais le rendement ne devrait pas être impacté car tous les épis semblent être là. La récolte sera avancée à mi-septembre au lieu de fin septembre habituellement.
Entre le semis et l’ensilage du méteil, je n’interviens pas. Je gère ensuite chimiquement les repousses d’avoine et d’autres adventices (telles que le ray-grass ou la picris fausse vipérine) juste avant semis du maïs ou en culture. En novembre et décembre dernier, j’ai trop tardé à semer le méteil ; il est ensuite tombé beaucoup d’eau fin 2021, les méteils étaient noyés et n’ont au final donné que 3 T de MS/ha. Pour cet automne et les années suivantes, je veillerai à semer le plus rapidement possible le méteil juste derrière le maïs récolté, mais sinon je ne compte pas modifier mes pratiques au printemps.
Témoignage d’Eric Achart, agriculteur à Valençay (37), en ACS depuis 2015
Cultures de printemps
Pour les cultures de printemps, je détruis mon couvert d’hiver grâce à un passage de glyphosate au 1er Mars pour un semis vers le 1er Mai. Ainsi la végétation est morte, en dégradation et fait un beau paillage.
Je sème 3 cultures de printemps :
- Du millet, semé au semoir à disque avec du 18-46 dans la ligne de semis après un premier passage à vide avec le semoir à dent 1 mois plus tôt. Objectif : réchauffer un peu le sol et créer une légère terre fine qui optimisera le contact terre-graine au semis. Le millet a été semé après un couvert de radis fourrager, colza, sorgho fourrager, féverole, phacélie et sarrasin.
- Du sorgho fourrager semé après un couvert de Ray-grass, trèfle incarnat et trèfle violet. Face à une problématique de ray-grass sur certaines parcelles, j’ai décidé de semer ce couvert et d’effectuer 2 fauches d’enrubannage pour lutter contre la pression graminée. J’ai ensuite détruit ce couvert au glyphosate avant de semer le sorgho fourrager
- Du tournesol, semé de façon opportuniste sur des parcelles ou le colza associé semé l’été précèdent n’avait pas bien levé. Ce semis a été réalisé après un gros orage (40mm). Après avoir attendu le ressuyage de la parcelle, le disque a provoqué un lissage de la raie de semis qui a impacté négativement la levée du tournesol. L’année prochaine, je sèmerai les tournesols comme le millet.
Colza et couverts d’été
Un semis précoce, même dans le sec, peut présenter des avantages par rapport à un semis plus tardif comme le développement plus important du couvert. La seule condition indispensable est d’avoir un beau paillage sur toute la surface du sol. Ceci permet au colza de résister aux fortes vagues de chaleur sans être pénalisé par un stress hydrique. |
Selon moi, plus il y a de paille et mieux la culture se porte, à condition de bien la répartir et de remettre des pailles sur la raie de semis après le semis (autrement la ligne de semis sèche très vite et la graine ne peut plus germer).
Derrière la culture de colza, les couverts ont beaucoup plus peiné car ils n’ont pas pu bénéficier d’une fraicheur résiduelle. L’an prochain, je ferai un simple passage avec mon semoir à dent dans les repousses de colza pour semer un sorgho fourrager. L’objectif étant d’optimiser le ratio cout d’implantation/ qualité du couvert en laissant le colza se développer et en semant une unique plante complémentaire au colza et capable de pousser en conditions sèche.
De plus, une trop forte densité de plantes pénalise la levée du couvert à cause de la compétition hydrique entre les plantes. Dans ces conditions sèche, les plantes poussent puis végètent. Cela permet de couvrir le sol mais ne permet pas d’avoir des couverts suffisamment développés.
Article écrit par le comité technique de l’APAD.
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