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Publié le 20/06/2023Télécharger la version pdf



Le blé dans la rotation

Le blé est une culture qui revient souvent dans la rotation des agriculteurs en Agriculture de Conservation des Sols car elle est assez facile à conduire et économiquement intéressante. Au-delà des spécificités habituelles (types de sol, climatologie, matériels, …), la manière dont le blé est inclus dans la rotation peut avoir un impact significatif sur les résultats obtenus qu’ils soient positifs et négatifs (restitutions azotés, utilisation efficiente des nutriments du sol, structuration et fertilité du sol, salissement, rémanence des herbicides, gestion des maladies et des ravageurs…). S’ajoute à cette réflexion le choix des modalités d’implantation qui peut impacter la réussite de la levée.  Cet instant technique fait le tour de toutes ces questions.


Culture précédente favorable ou défavorable, quelles modalités adapter ? 

En ACS, la rotation des cultures est un levier indispensable à la réussite du système sur le moyen et long terme, les améliorations techniques ne pouvant suffire à répondre aux problèmes culturaux rencontrés.  Si l’on devait classer les objectifs d’une bonne rotation, on pourrait mettre dans l’ordre : 

1/    Optimiser son revenu via la rentabilité de toute la rotation (gain de rendement, économie de charges, gestion des risques culturaux, pointe de travail,)
2/    Maîtriser le parasitisme des cultures : adventices (annuelles, vivaces), ravageurs (limaces...), maladies 
3/    Améliorer les conditions de semis de la culture suivante 
4/    Accroître son capital « sol » par la production et la restitution de résidus et de couverts végétaux. 


 Par exemple, pour la maîtrise du salissement, les schémas de rotations efficaces intègrent souvent la rotation 2/2 : 
Alterner 2 cultures d’hiver (gestion des adventices estivales) et 2 cultures de printemps (gestion des adventices hivernales). Alterner 2 monocotylédones (gestion des dicots) et 2 dicotylédones (gestion des graminées).  
Mais ce n’est pas toujours simple à mettre en œuvre, en particulier suivant le type de sol, le climat et la présence ou non d’irrigation.  Cet exemple montre bien que les modèles « tout fait » ne sont pas possibles en ACS !


A - Le précédent

Voici une liste de quelques avantages et inconvénients des précédents du blé

Légumineuses 

Dans la diversité des rotations possibles, un point commun devrait demeurer : la présence de légumineuse à un moment de la rotation.  Qu’elle soit de printemps, d’hiver ou pérenne, la légumineuse aura des effets positifs sur la gestion des adventices et surtout sur la stimulation de l’activité microbienne.  Avant un blé, elles auront toute leur place en laissant peu de débris au sol, favorisant un relargage d’azote utile au démarrage de la culture et, en général, offrant un champ exempt d’adventices problématiques.  Les légumineuses peuvent servir de couvert pluriannuel comme nous le verrons plus loin.

Brassicacées (colza, moutarde, …)


 Le colza est souvent utilisé comme précédent du blé car il structure bien le sol grâce à son système racinaire et les parcelles, si elles sont bien gérées, sont exemptes de graminées problématiques (raygrass, vulpin).  De plus, les repousses permettent de garder la structure en bon état et de « nourrir » les limaces au moment du semis du blé à condition de laisser mourir doucement ces repousses.

Cultures de printemps


Là encore, l’intérêt principal est d’obtenir des parcelles sans adventices grâce à un programme de désherbage adapté.  Changement de famille culturale et de date de semis sont des atouts importants.  Cependant, il convient d’être vigilant sur 2 points : 
- La quantité de résidus laissés au sol qui peut impacter la qualité du semis (voir les témoignages) 
- La date de récolte : une récolte trop tardive, avec le risque de pluie conséquente qui augmente, peut imputer la qualité de l’implantation par l’impact de la récolte sur la structure du sol et la qualité du semis.

Céréales à pailles 


Les pailles sur pailles sont souvent défavorables car de nombreux problèmes parasitaires vont persister (adventices, champignons parasites, insectes du sol). De plus, si les pailles sont laissées au sol, leur dégradation demande beaucoup d’énergie, dont une bonne partie en azote et la qualité du semis peut être impactée, en particulier les années humides. 

Pour essayer de contourner ce problème, les couverts avec un pourcentage conséquent de légumineuses (50 %) vont permettre de casser le cycle de certains parasites et de restituer de l’azote qui sera le bienvenu lors du semis.   Il est aussi possible de travailler avec des couverts pluriannuels de légumineuses : luzerne, lotier, trèfle ou sainfoin. Cette pratique permet de conduire plusieurs céréales à la suite. La légumineuse étant présente sur plusieurs années, elle va avoir un effet significatif sur la dégradation des pailles par l’apport d’azote, sur le salissement et, pour les éleveurs, sur une production de fourrage après la moisson.  

Le couvert pluriannuel aura aussi un rôle sur le développement de certains champignons parasitaires du sol comme le piétin verse et piétin échaudage.  


B - Focus sur le semis de blé sous couvert pluriannuel 


1/    Intérêts

À travers cette technique, ce sont les légumineuses (trèfle, luzerne, lotier, sainfoin, …) qui sont utilisées comme couvert permanent car elles sont présentes sur plusieurs années. Ce couvert permet, dans certaines situations, de limiter l’impact négatif d’un blé sur blé comme on l’a expliqué précédemment.  C’est une pratique assez récente en France, qui fait l’objet de plusieurs expérimentations. Le semis de blé sous couvert pluriannuel a pour objectif de limiter les apports d’azotes avec la fixation atmosphérique de l’azote par les légumineuses, de réduire les interventions d’herbicides par le phénomène d’étouffement des adventices, voire des insecticides, d’agrader la porosité des sols et celle de l’activité biologique aérienne et souterraine. Les références commencent à être robustes grâce souvent aux travaux menés par les agriculteurs eux-mêmes et/ou accompagnés par leurs organismes de conseils. Sur le papier, c’est le système idéal mais il se heurte à 3 problématiques importante : 


1)    L’adaptation du couvert à son climat et donc sa densité suffisante dans le temps ;
2)    La régulation du couvert permanent, pour qu’il ne vienne pas en concurrence avec la culture ;
3)    Le risque de prolifération des campagnols qui trouvent dans ce couvert permanent un habitat peu bouleversé avec la difficulté de trouver des moyens de limiter leur population.


2/    Choix de l’espèce


Tableau sur les différentes légumineuses en couvert permanent.  
Attention : le mélilot et la minette sont très concurrentielles des cultures et assez difficiles à maitriser !!



Le trèfle risque de venir concurrencer la culture au printemps, notamment dans les années sèches. Le trèfle blanc nain avec sa biomasse limitée, fait ses preuves dans les contextes pédoclimatiques où il est adapté. En revanche, il est peu adapté pour la production de fourrage. Alors que le trèfle violet convient pour la production de fourrage, mais il semblerait plus agressif et peut donc pénaliser les céréales. 

Quant à la luzerne, elle pose moins de problèmes du fait de son enracinement profond (si le sol l’est lui-même !), mais elle est bien plus concurrentielle au printemps si elle n’est pas régulée et peut passer par-dessus la culture. 

Le lotier, comme le sainfoin, peut être une alternative intéressante, mais le coût des semences est assez élevé, et il ne semble pas adapté à certaines régions. 
Dans ce type de système, entre la récolte d’un colza et le semis d’un blé d’hiver, les légumineuses vont rapidement se développer pour produire plusieurs tonnes de matière sèche.

Ce couvert pluriannuel doit être broyé ou fauché et/ou exporté avant le semis de la céréale. Dans un couvert ras, il n’y a pas de difficulté notable pour un semis direct. 
Il faut réguler le couvert pour qu’il ne vienne pas déranger le développement automnal du blé, car il peut être déjà compétitif à l’automne. Avec un automne doux, les légumineuses (en particulier le trèfle) vont continuer à pousser : Un broyage très ras peut avoir une bonne efficacité, complété éventuellement par un traitement herbicide qui va réguler la légumineuse pendant 1 mois environ ce qui sera souvent suffisant. 

Rarement justifié en automne après semis, le couvert devra absolument être régulé en sortie hiver et/ou au début de printemps pour éviter toute concurrence néfaste au développement du blé.  


3/    Point sur la fertilisation azotée :

Les dates et les doses des interventions de fertilisation azotée sur le blé ne doivent pas changer. C’est-à-dire que la légumineuse étant dans sa 2ème année va tout de même fournir de l’azote au sol et/ou à la céréale. Il a été observé que lorsque le programme de fertilisation n’est pas modifié, on peut retrouver une augmentation des rendements mais surtout du taux de protéine. 

4/    Le désherbage :

La présence d’un couvert pluriannuel limite fortement la levée des adventices. S’il y a la présence d’un risque de graminées, des mesures préventives comme la rotation diversifiée, une vitesse de semis réduite sont envisageables, car il existe très peu d’herbicides utilisables sur blé sous couvert pluriannuel. 

5/    Après la moisson :

Dès que le blé est exporté, la légumineuse va retrouver son exposition à la lumière et va donc pouvoir se développer.  Afin d’avantager ce développement, le broyage des pailles serait un avantage par rapport à la luminosité, à la gestion des campagnols et à sa rapidité d’incorporation au sol.

En fonction de sa place dans la rotation, les témoignages suivants permettent de découvrir les réflexions d’adhérents sur la méthode d’implantation du blé : à la volée, au semoir à disques ou à dents et sous couverture permanente.



Témoignage de Damien Boudrot, agriculteur en Côte d’Or, en ACS depuis 15 ans.

La présence de coronaires sur le blé est visible dans un semis à la volée

Depuis 2013 je fais le semis à la volée après 2 cultures : le soja et le maïs. Les résidus ne posent pas de problème à la germination. Après le soja, je le sème à la volée seulement les années où le soja est récolté tardivement. Derrière maïs je sème systématiquement à la volée du blé ou de l’orge d’hiver. La première fois, j’avais mis un blé et une orge à la volée après maïs dans l’optique d’en faire une interculture avant une culture de printemps. Je me suis aperçu qu’il y avait une bonne levée et une bonne densité. J’ai réessayé en améliorant les conditions semis : une meilleure densité et une protection de la culture vis-à-vis des pucerons pour les problèmes de virose.

J’utilise un épandeur à engrais, à une vitesse entre 15 et 20 km/h, on n'est pas limité à la volée. J’implante à la volée mon blé sur du soja avant ou après la récolte. Cela peut être avant, dans le cas de récoltes tardives et les délais sont trop courts pour avoir mes blés au bon stade avant l’hiver.

Pour moi, le désavantage du semoir à dent pour les semis de blé, c’est le potentiel de germination des adventices et le risque de pourrissement de la graine en conditions humides. J’utilise le semoir à dent, seulement après des pailles broyées, pour semer les couverts et éventuellement pour de l’orge d’hiver   
Je n’observe pas de différence de rendement suivant les modalités de semis. Les différences, pour moi, sont liées à la variété ou à la parcelle. À la limite même, après un maïs, le rendement pourrait être meilleur car les grains ne sont pas serrés dans un sillon avec de la paille. 

On a généralement des blés qui sont bien fournis sans pour autant augmenter les densités. Si l’on reprend les densités que j’ai pu énoncer dans l’un des derniers instants techniques : “une densité de semis à 350 grains au m² dans le soja et 400 grains dans le maïs contre 300 grains avec un semoir”.  Cette année, j’ai gardé les mêmes densités, 300 grains au m2, que ce soit à la volée ou pour une implantation au semoir. J’ai un blé qui est largement fourni. 

Je suis vigilant sur la présence des limaces : j’observe et j’interviens avec un anti-limace avant ou pendant les semis. 

Pour la variété, j’utilise une variété pure, tolérante à la fusariose. 

Mes blés sont plus sains en termes de piétin verse et de piétin échaudage car on évite les maladies au semis à la volée. 

Un autre avantage du semis à la volée est que la graine reste en surface donc il n’y a pas besoin d’utiliser d’insecticide de sol. Le taupin est présent sur toutes mes parcelles, l’ensemble de mes semis est protégé, hormis ceux à la volée. 

Le soja laisse énormément de cicadelle après la récolte, c’est donc un précédent à risque au niveau virose. Depuis le retrait du gaucho, je décale la date de semis, et au moins je peux gagner 1 insecticide et gagner aussi sur le salissement. Le tout est de s’adapter dans la limite du possible. 

Les conditions à privilégier pour les semis à la volée est qu’il ne faut pas d’acidité en surface (danger en dessous d’un pH à 5,5), car il y a un risque d’avoir des pertes de pieds. S’il y a de l’acidité de surface, la graine va germer mais les racines ne vont pas se développer correctement. Avant le semis à la volée de mon blé, si je remarque un développement d’adventices, je peux faire un passage d’herbicide avant le semis. 

Autrement, les précédents défavorables à la culture du blé en condition de semis à la volée qui sont préjudiciables, sont les pailles de céréales d’hiver car il faut forcer en fumure (phosphore en particulier) et en protection au niveau du piétin. Il faut avoir des couverts et si l’été a été sec, le couvert étant peu développé, il y a plus de risque au niveau de la dégradation des pailles. Comme précédent favorable : le soja car, avec la restitution de l’azote, les blés ont une bonne vigueur. Avec le tournesol, il y a moins de problèmes de maladies mais la vigueur est moindre car le tournesol laisse beaucoup moins d’azote que le soja. Le maïs, laisse une bonne quantité de résidus ce qui est un plus au niveau du désherbage, tout en ayant un blé qui garde une bonne vigueur. 
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Mes coûts ont augmenté sur le désherbage d’automne avec des problèmes de raygrass.

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Éric Achart, agriculteur céréalier, Indre (58), adhérent de l’APAD Val de Loire depuis 2018, sème son blé au semoir à disques ou à dents.

Je pratique l’ACS depuis 2018, au Nord de l’Indre.  Je cultive du colza, du blé, de l’orge, de la féverole, du millet, du maïs, du tournesol et de temps en temps, du pois protéagineux. Le blé représente 35 à 50% de mon assolement, son implantation dépend du salissement de mes précédents. Ici, j’ai des gros problèmes de raygrass principalement, et de vulpin.


Je joue sur la rotation. Je ne fais que des herbicides racinaires, mais les résultats s’atténuent notamment avec les résidus et MO de surface. Au niveau des foliaires, les résultats ne sont plus satisfaisants aujourd’hui. 

En termes de précédents défavorables, je dirais toute culture qui se salit en fin de cycle donc, en général des cultures avec une faible densité : le raygrass s’installe et devient difficile à détruire.  Je fais donc souvent le blé derrière tournesol ou d’autres espèces à condition qu’elles soient propres à la récolte (colza, pois, féverole) 

J’implante systématique un couvert avant un blé, la composition dépend du précédent. Base : sarrasin, phacélie, tournesol. Derrière féverole je mets 1kg de colza en plus. Derrière colza, j’ajoute 50 kg de féverole.  J’ai choisi les espèces de mon couvert afin de pouvoir passer avec les deux types de rampe. Je ne mets pas de vesce car ça peut entraîner du bourrage au semis.  Mon couvert est peu diversifié, mais cela me donne de la flexibilité dans le choix de modalité d’implantation. Même avec un couvert haut (1m), j’arrive à semer avec le semoir à dents. 

Pour mes semis, j’ai un semoir fait maison, trémie frontale à l’avant du tracteur. Je change mes rampes à disques ou à dents selon mon précédent. Ma rampe à disques est à 25 cm alors que ma rampe à dents est à 20. J’implante mon blé à 3,5 cm de profondeur. Je fais un passage de phosphore et de souffre en même temps que le semis ce qui est possible grâce à deux trémies sur mon semoir.  Au niveau des rendements, le facteur limitant principal c’est le salissement à partir du moment où le semis est réussi. Du coup, j’utilise le semoir à disques si le temps est sec pour bouger le moins possible de terre et éviter d’avoir des relevées d’adventices. Si le précédent est une paille, il faut un chasse débris pour éviter de pincer la paille dans le sillon. Dès que le sol est humide, j’utilise le semoir à dents car je trouve que les sols sont moins compactés avec le semoir à dents. Je suis plus propre avec le semoir à disques qu’avec celui à dents, mais j’ai une qualité de semis à la dent beaucoup plus satisfaisante surtout au niveau de la gestion des pailles dans le sillon et des périodes pluvieuses.

Depuis mon passage en ACS, j’ai augmenté mes densités de semis : avec le semoir à dents, je mets 270 grains au m2 et au disque 220 grains m2.

​​​​​​​Jusqu’à l’année dernière j’étais à 100 € en moins de charges opérationnelles à l’ha par rapport à mon historique. Pour mes semis, je suis à 4,5l de gasoil /ha. Le poste désherbage grimpe parfois à 150€/ha et cela devient récurrent car certains rattrapages n’ont pas bien fonctionné. En vitesse de croisière, les coûts sont plus bas, lorsque je n’ai pas de problème de salissement, de maladie ou de ravageur. Au niveau de la charge de mes couverts, je fais des échanges de semences de ferme, on arrive à faire des couverts à 30€/ha.

Nicolas Mourier, agriculteur dans la Somme (80), adhérent de l’APAD Picardie, pratique le semis direct de céréales en couverture permanente en particulier sur les parcelles de craies.


L’enjeu principal c’est l’azote et aussi de pouvoir agrader les plus mauvaises terres. Le but d’un couvert permanent pour moi, c’est de pouvoir multiplier plusieurs céréales les unes après les autres sur des terres argilo-calcaire, où les solutions en cultures de printemps sont peu nombreuses.

Je laisse ce couvert pluriannuel autant de temps qu’il y a de céréales derrière la culture principale : par exemple le colza et le tournesol sont propices à l’implantation d’une légumineuse pérenne. Mes rotations sur ce type de terre peuvent être : Tournesol + Luzerne puis 3 ans de céréales : blé, escourgeon, orge ou Blé, orge, orge. Entre les orges de printemps, il y a longue période d’interculture, c’est donc profitable pour la légumineuse qui est en place. D’ailleurs maintenant avec les OP d’automne, la dynamique de restitution automnale de la luzerne est bien valorisée en nombre de talles, plus qu’en blé/blé.


Semis au disque ​​​​​​​d'un blé dans une luzernière

 
En termes d’espèce, j’étais au départ sur de la luzerne, aujourd’hui je mise plutôt sur le sainfoin. Celui-ci a également une capacité très forte à faire plonger ses racines profondément, mais il est tout de même moins agressif et moins compétitif pour la culture principale, par exemple, il ne montera pas dans un colza. Le sainfoin installé est aussi plus sensible aux herbicides donc plus réceptif aux passages dits de régulation au printemps dans les céréales. Je trouve qu’il repart moins vite en végétation au printemps, donc il y a moins de compétition sur le blé et ses racines sont plus profondes donc sur un horizon différent.

Que ce soit, pour la luzerne ou le sainfoin, on peut prétendre au même objectif. C’est le développement de biomasse racinaire sur plusieurs années qui va agir sur la restitution d’azote et sur le recyclage des éléments profonds : potasse, calcium ! (C’est assez lié au facteur hormone ?) En terre de craie, je pense qu’on pourrait conduire des luzernes très longtemps avec une céréale pour consommer l’azote. Une luzerne pure sans graminée finit par « s’étouffer » dans son azote, elle s’épuise et souvent les vieilles luzernières se salissent avec un flore adventice.  L’azote ainsi proposé par la légumineuse associée à la céréale est régulièrement capté et mis à profit notamment en termes de tallage herbacé.  La combinaison des céréales et des légumineuses, est vraiment profitable, cependant je ne prétends pas réduire mes apports d’azote et notamment avec une succession de trois céréales avec pailles restituées. Je ne minore pas mes apports d’azote car selon moi, on va tellement augmenter la matière organique à la surface du sol avec 3 pailles successives, que la mobilisation (l’organisation) de l’azote est très importante. En augmentant le taux de matière organique par les restitutions de pailles broyées, on immobilise tellement d’azote pour leur dégradation et dans un processus de création d’humus stable que cela peut être au détriment de la culture si l’on devait baisser les apports. D’ailleurs les besoins azotés de la céréale au printemps ne coïncident pas forcément à la période de relargage par la luzerne.
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En fait, grâce aux couverts permanents et dans mon système sans travail du sol, je finance l’accroissement de matière organique, puit d’azote important quand l’évolution du pool organique du sol avoisine les 0,1% par an. Si je n’avais pas recours aux couverts permanents dans ce type de sol et par rapport à cet assolement très céréalier, j’aurais potentiellement dû mettre plus d’azote.

Pour implanter mes couverts permanents, je les mets surtout au moment de l’implantation du tournesol au printemps, pour une légumineuse à petite graine l’implantation de printemps est un gage de réussite. Sous tournesol je passe un combiné de semis rotative/semoir de manière très superficielle pour implanter le sainfoin ou la luzerne, cela me sert de préparation au préalable au semis du tournesol au monograine. Je sème les CP la veille pour le lendemain du semis de la culture. 

Levée du sainfoin dans le tournesol 1 mois après le semis

Etat de la parcelle 7 semaines après le semis

  
Je ne sème plus de CP sous mes colzas, par rapport à la réussite des semis de petits graines l’été c’est compliqué, et comme j’enterre bien mon colza au semoir à dent, je trouve délicat de positionner une petite légumineuse à 4cm. De plus, faisant du colza associé, je ne veux pas me passer de la possibilité de faire du Mozzar à l’automne et dans un souci de gestion des géraniums.

En termes de ravageurs avec cette pratique, c’est la question des campagnols qui est plus compliquée à gérer par rapport à la couverture permanente offerte par le couvert. Je prends des précautions car avec le campagnol beaucoup de leviers sont surtout préventifs, par exemple après la récolte du colza ou du tournesol je passe un broyeur pour venir couper les cannes, les pailles, cela permet de régulariser le couvert permanent sous la culture, et cela permet de passer ensuite la herse à paille pour bouleverser les couloirs et passages du rongeur, l’exposer aux prédateurs. 

Pour le semis de la première céréale j’utilise un semoir à disques pour semer dans les résidus de colza ou de tournesol. Par contre, pour les pailles successives, je viens semer au semoir à dents pour écarter les pailles de la ligne de semis. Pour semer à la dent dans un couvert permanent, je préfère repasser le broyeur afin de ramener au sol les parties aériennes du couvert venant former un mulch avec la paille de la céréale précédente. Cela permet à nouveau de mettre la pression sur les campagnols, surtout dans la période de stade jeune de la céréale.

Pour ce qui est de la densité de semis, mes pratiques liées à la couverture permanente ne modifient pas mes méthodes. Avec cette pratique j’ai un bien plus fort développement végétatif à l’automne et donc un nombre de talles au m2 plus important. J’ai cependant tendance à augmenter mes densités de semis après colza : je constate de plus en plus d’échecs de désherbage de graminées après colza, je suis donc amené à semer mes blés de colza de plus en plus tard, interculture que je gère avec un couvert vivant pour garder toute capacité à semer. 

Mon couvert permanent me permet d’avoir toute l’année des racines vivantes dans le sol : une plante qui est constamment en train de pousser, procurant des racines qui vont aller à plusieurs mètres en profondeur, ce qui va venir « casser » les carbonates. L’objectif est vraiment de venir agrader le sol, gagner en profondeur d’exploration racinaire pour la céréale, avoir une fertilité de sol plus importante et une meilleure réserve hydrique. On vient créer du sol par le bas. 

Comment ont évolué les coûts de productions sur la production de blé ? 

Quant aux coûts de production, le couvert permanent versus le SDSC, il n’y a pas vraiment de différences : les dépenses en IFT pour la destruction ou la régulation du couvert sont présentes, il y a la diminution des herbicides mais qui est compensée avec l’utilisation des hormones. Selon l’année, on peut venir réguler la luzerne avec plus de passage, par exemple sur une année avec des hivers doux, la luzerne a très peu de repos végétatif : dès le mois de février la luzerne est déjà repartie en végétation sous le blé. Et comme au mois de février, mars, il fait encore froid, on ne peut pas utiliser les hormones qui ont besoin d’un certain degré de température pour une utilisation à bonne escient. On est sur des produits de désherbage type sulfo et on ne peut pas vraiment les associer aux passages de fongicides ou régulateurs sur blé. C’est une problématique, qu’il ne faut pas négliger, cela peut multiplier les passages.
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La pratique des couverts permanents peut aussi avoir du sens en terre plus profonde et surtout en limons pour éviter la reprise en masse de sols travaillés et soumis aux lames d’eau hivernales refermant le sol : les trèfles sont alors beaucoup plus appropriés et vont permettre d’entretenir une structuration mécanique et une verticalité intéressante.


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Témoignage de Mathieu Marguerie
- Ingénieur Régional PACA – Animateur réseau SCV Arvalis.


A/    L'évolution des choix variétaux


L’évaluation variétale actuelle porte sur plusieurs paramètres.

1/ L'adaptation au changement climatique. L'enjeu est de maintenir les rendements et le choix variétal y contribue. En effet, par exemple, les anciennes variétés, même performantes à l'époque, sont aujourd’hui dépassées en rendement par les nouvelles variétés. C'est bien que la variété contribue au maintien des rendements. Les idéotypes attendus aujourd’hui dans un contexte de changement climatique (Station Arvalis Gréoux les Bains en PACA) sont principalement la résistance aux aléas climatiques et en particulier au stress hydrique. Pour étudier le comportement des variétés, Arvalis dispose de moyens de phénotypages haut débit sur plusieurs stations permettant de comprendre l’adaptation des plantes face à des stress hydriques à différents moments de leur cycle.


 

Minirhizotrons (caméra dans le tube transparent pour regarder les racines)


Quelques exemples observés en blé dur sur la station de Gréoux les Bains (04) :

a.    Grâce à ces outils, on peut par exemple identifier qu’en cas de stress hydrique certaines variétés continuent à faire de nouvelles feuilles au détriment du grain et d’autres variétés limitent leur biomasse foliaire et conservent ainsi de l’énergie pour mieux remplir le grain (variétés à gros grains)
b.    Les variétés précoces à gros grains, donc avec un PMG élevé, ont une meilleure finition en cas de fin de cycle, c’est-à-dire de remplissage du grain difficile (stress hydrique ou thermique). Elles bénéficient de plus de temps pour remplir le grain ce qui permet également de compenser d’autres composantes de rendement impactées par le stress. 
c.    Les variétés précoces ont un remplissage du grain qui se fait plus tôt permettant souvent d’esquiver les phénomènes d’échaudage. 
d.    Par contre, les variétés précoces et à PMG important, ont tendance à « plafonner » en rendement lorsque les conditions de fin de cycle s’améliorent, puisqu’elles n’ont pas mis en réserve une biomasse supplémentaire leur permettant d’en profiter. 
e.    La vitesse de rentrée en sénescence en fin de cycle est également un facteur observé de près : plus les blés restent verts longtemps, plus le remplissage du grain sera favorisé. 

Ces variétés qui résistent mieux aux aléas climatiques ont l’inconvénient de souvent plafonner en rendement si les conditions sont bonnes : il faut toujours opter pour implanter plusieurs variétés pour gagner en diversité et diminuer les risques en fonction de l’année et du type de sol (superficiels, intermédiaires ou profonds). A ce titre, nous n'observons pas de gains significatifs en quantité et en qualité en cas de mélange variétaux intra parcellaire. 

2/    Nous travaillons également sur l'efficience de l'azote : En particulier, pour un niveau de rendement donné, l'objectif est d'obtenir un meilleur taux de protéines que les variétés de la même gamme de productivité, donc repérer les variétés capables d’aller chercher de l'azote en fin de cycle, après floraison. Ce sont les variétés GPD+ qui diluent peu la protéine dans leur rendement. Elles allient taux de protéines et productivité. Nous travaillons également sur l'aspect racinaire en mesurant la capacité exploratoire notamment en cas de stress hydrique. Nous travaillons donc sur un phénotypage racinaire pour voir le lien avec le phénotypage aérien. 


 

Phénomobile (robot autonome équipé de caméra permettant de mesurer différents paramètres du développement foliaire)


3/    La résistance aux maladies fait toujours partie des priorités avec de gros progrès génétiques pour obtenir des variétés résistantes à la rouille et aux mosaïques.  Ce travail reste très important avec la baisse du nombre de produits phytosanitaires homologués.

4/    En ACS on peut aussi regarder la vigueur des variétés au démarrage pour leur capacité à concurrencer un couvert qui lui est associé. 


B/    Incidence du changement climatique sur la conduite technique du blé

Adaptation de la fertilisation aux dérèglements climatiques : 

  1. Nous travaillons sur le « pilotage intégral » de la fertilisation azotée, c’est-à-dire en fonction du développement réel de la plante dans la parcelle et non plus en fonction d’un objectif de rendement fixé en sortie d’hiver, et que l’on n’est pas certain d’atteindre, surtout en situation de climats aléatoires. Ce pilotage se fait à l’aide d’un modèle de croissance de culture (« CHN ® » qui simule le développement de la plante à la parcelle et les flux d’eau et d’azote en fonction du climat, du type de sol, des pratiques de la culture, du précédent cultural et de la gestion de l’interculture (couvert végétal, travail du sol ou non). En ACS, il subsiste des voies d’adaptation quant à la viabilité actuelle du modèle (situations d’immobilisation de l’azote avec la biomasse microbienne). 
  2. La recherche porte également sur la fertilisation azotée et son adaptation au changement climatique. Une des traductions de ce dernier peut être l’allongement des périodes avec une pluie insuffisante pour une valorisation correcte des apports d’azote. Nous travaillons sur des stratégies d’anticipation de ces périodes avec des apports plus importants, si les reliquats sont faibles, à des périodes encore favorables de valorisation afin de limiter le stress azoté subi par la suite. Arvalis mène également un réseau d’essai spécifiquement dédié à la fertilisation en agriculture de conservation aux quatre coins de la France : formes d’azote, réduction du fractionnement, fertilisation soufrée.  
  3. La date de semis est aussi en évolution avec, dans la majorité des Régions une date de semis qui a tendance à reculer pour mieux gérer les graminées d'automne et diminuer la pression des pucerons. À contrario, dans le sud-est, c'est plutôt l'inverse à cause des phénomènes méditerranéens qui peuvent empêcher tout semis en cas de trop forte pluie.
  4. Nous étudions également le cycle des adventices car on voit une évolution dans les périodes de germination qui s’agrandissent.  Il est également possible que certains ravageurs et certaines maladies fassent leur apparition dans notre pays.
  5. Enfin nous travaillons sur la dynamique de l'eau en ACS et en particulier l'impact des couverts végétaux et du mulch sur l'absorption de l'eau. Ceci entraîne éventuellement une évolution dans la gestion de l'irrigation d'autant plus si la ressource diminue. Aujourd'hui grâce aux sondes et au modèle que l'on développe on arrive à mieux anticiper les apports d'eau donc optimiser l’efficience de l’eau.


En conclusion on s'aperçoit que les itinéraires techniques deviennent de plus en plus individualisés en fonction des fermes, des sols et du climat. Les modèles que l'on développe doivent donc répondre au mieux aux besoins des agriculteurs grâce à la prise en compte de très nombreuses références agronomiques et climatiques. Et être combinés dans les fermes avec l’expérience qu’ont les agriculteurs de leurs sols, de leur climat, de leurs objectifs de pratiques. 





Article écrit par le comité technique de l’APAD.
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