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Publié le 25/07/2023Télécharger la version pdf



Réussir sa transition en Agriculture de Conservation des Sols (ACS)

Témoignage : Laurent Vaucher, itinéraire d’une conversion réussie

Dans cet instant technique, Laurent Vaucher, agriculteur à Fresnes en Saulnois (57), témoigne de sa transition vers l’agriculture de conservation des sols. Installé en 2010, il prend un virage à 180° en 2018 : il sème l’ensemble de ses parcelles en direct, met en place des couverts d’interculture, et allonge sa rotation. Depuis, plus aucun travail du sol n’a été réalisé sur son exploitation. Il revient sur cette période de transition, et sur les éléments clés qui lui ont permis de réussir la mise en place d’un système abouti. Désormais en régime de croisière, Laurent témoigne des pratiques et leviers qu’il met en œuvre dans la conduite de ses cultures, et de ses essais sur le Redox qui l’animent tout particulièrement. 



Présentation de l’exploitation

En 2010, je me suis installé sur une exploitation de 140 ha de grandes cultures, en ACS depuis 2018, en Moselle, dans le Saulnois, sur le plateau entre Delme et Château Salins. Mes types de terres se répartissent comme suit : 50% d’argilo-calcaire superficiel, 25% d’argile, et 25% d’argilo-limoneux ou limoneux-sableux hydromorphes. En termes de successions culturales, je cultive majoritairement du blé assolé. Suite à des résultats décevant en colza, j’ai introduit du soja et du tournesol dans mes rotations. A cela s’ajoute de l’orge de printemps et de l’orge d’hiver. Le maïs ne revient que très rarement dans l’assolement du fait de la présence de corvidés et de sangliers, et de terrains superficiels incompatibles avec la culture du maïs. Suivant la pluviométrie printanière et les parcelles, les rendements du blé vont de 50 à 90qx, et ceux du colza vont de 20 à 40qx.

La conversion en ACS en 2018 a eu lieu suite à des problèmes de perte de matière organique et de fertilité de mes sols, liés à 30 ans de travail de sol intensif. Les problèmes d’érosion dans les parcelles en pente et la présence de cailloux, ont aussi été des facteurs déclenchants. Depuis 2021, je suis labellisé Au Cœur Des Sols.



1. La transition vers l’ACS

L’idée de l’ACS m’est venue après avoir visité plusieurs pays où le semis direct se pratiquait depuis déjà plusieurs décennies comme l’Australie et les Etats Unis, et après deux mauvaises années économiques : 2014 et 2016. En 2017, j’ai également participé à une formation sur l’ACS organisée par la Chambre d’Agriculture de Moselle, qui m’a rappelé des bases de la mise en place du système, et en fin d’année, j’ai décidé de me lancer. L’idée était de revendre pour 50 000€ de matériel de travail de sol, pour pouvoir redresser la trésorerie de l’exploitation et financer l’achat d’un semoir de semis direct dans la foulée. Pour anticiper la conversion et m’assurer de partir sur une structure adéquate, j’avais passé l’ameublisseur dent Michel sur la totalité de mes parcelles lors de l’été sec de 2015, à 30 cm de profondeur.

En 2018, le semoir direct neuf de 4m arrive, et la totalité de l’exploitation passe en agriculture de conservation des sols cette même année. Je n’ai eu recours à aucun travail du sol depuis, hormis quelques zones localisées qui ont nécessité le passage de l’ameublisseur. Dès l’été 2018, des intercultures courtes, pour l’orge d’hiver et le blé, et longues pour les cultures de printemps, sont mises en place.

L’année 2018 est charnière : les demandes de prestation de semis sont nombreuses, sans faire de pub. Pour honorer cette demande, je me lance dans cette activité, et termine l’année en ayant semé 760 ha. Ce succès est dû à la polyvalence du semoir Novag. Son élément semeur en T inversé permet de semer plusieurs cultures à des profondeurs différentes, en y associant engrais sur le rang, et anti-limace sur terre ou sur le rang, le tout en un seul passage. Pour faire face aux nombres d’hectares semés, le fabriquant Novag me propose un semoir 6m de démo, pour remplacer le semoir neuf de 4m, et ainsi augmenter les débits de chantier. S’en suit alors le rachat d’un tracteur plus puissant pour tirer le nouveau semoir.



Figure 1. Semoir direct Novag TForce 640


Pour niveler des éventuelles ornières dans mes passages de traitement, j’ai équipé un tracteur avec un déchaumeur frontal de 3m à disques indépendants et, à l’arrière, avec une vieille rotative de 3m. Ces équipements me permettent de niveler les traces problématiques en un passage après moisson, avant l’implantation des intercultures.

La succession de trois été secs (2018, 2019 et 2020) a facilité ma transition. En effet, l’accumulation des rhizosphères des cultures principales et des intercultures, m’a permis de passer l’été humide de 2021 sans trop de souci, la portance des sols s’étant déjà bien améliorée.

Pour assurer la transition, je pratique la fertilisation systématique sur le rang au moment du semis, parallèlement à l’augmentation du nombre de cultures dans l’assolement.



2. Pratiques et leviers mis en œuvre

  • Couverts

Chaque année après moisson, j’implante des couverts d’intercultures courtes et longues suivant la culture suivante. A l’origine, j’implantais systématiquement des intercultures courtes en été, et même derrière colza j’essayais d’implanter de la féverole ou du fenugrec. Mais je me rends compte que les repousses de colza prennent toujours le dessus, donc je ne le ferai plus.

Entre un blé et une orge, et du fait de la restitution des pailles, j’implante des légumineuses petites graines pour essayer de produire un peu d’azote, et ainsi rééquilibrer mon rapport C/N en surface. Je constate que les couverts lèvent, même les années très sèches, mais la biomasse n’est pas toujours au rendez-vous. J’espère malgré tout que le système racinaire du couvert fait son travail.

Je n’auto-produit pas mes semences de couvert, car je ne m’y retrouve pas financièrement. Je préfère acheter des mélanges de petites graines que je sème à 10 ou 12 kg/ha, qui me coûtent 40 à 50€/ha de semence. Je sème à une profondeur de 1 à 2 cm dans des pailles fauchées hautes et restituées, tout de suite après la moisson, avec du lisier de porc en granulés émiettés. Le mélange dépend de la culture suivante, et peut être composé des espèces suivantes : trèfle d’Alexandrie, trèfle incarnat, phacélie, radis, chia, aneth, vesce, féverole et de quelques crucifères.

  • Ravageurs

Pour les campagnols, j’ai mis en place des perchoirs à rapaces sur l’ensemble de mes parcelles, et lors de mes sorties d’observation des cultures, je suis systématiquement équipé d’une canne à Ratron pour limiter la prolifération d’éventuels foyers. Je dirais que les populations sont même mieux maîtrisées aujourd’hui qu’en 2014 et 2015 avant le semis direct. Au sujet des autres ravageurs, je ne suis pas plus embêté que mes voisins.

  • Adventices

Le fait de ne plus travailler le sol m’a permis d’améliorer la propreté de mes parcelles, particulièrement en colza avec la disparition des géraniums. Pour le blé, le fait de semer mes intercultures tout de suite après moisson, permet de créer les conditions propices à la levée de vulpins au mois de septembre et début octobre, et le glyphosate de pré-semis permet de nettoyer une bonne partie des populations qui seraient amenées à lever. Dans les parcelles à faible infestation, un Fosburi 0,5 à 0,6L/ha avec 8 à 10g d’Allié au stade 3 feuilles suffisent. Pour les parcelles à plus forte problématique vulpin, un complément de prosulfocarbe (2,5L de Defi) est ajouté pour renforcer le programme. Lors de l’apparition de bromes dans une parcelle, je le contrôle par l’implantation d’un couvert d’interculture longue, puis par le semis d’une culture de printemps.

  • Fertilisation

Au semis, je mets sur le rang entre 100 et 200kg de granulés organiques, ce qui représente une dizaine d’unités d’azote en moyenne, avec du phosphore, de la potasse, et du soufre, pour un coût de 29€/ha pour 200kg. Ensuite, j’applique toujours environ 40 unités d’azote sur le blé, l’orge et le colza début février. Puis début mars à mi-mars suivant les conditions, les apports sont soldés pour atteindre un total de 140 unités pour ces trois cultures.

  • Itinéraire technique du blé

Je réalise des mélanges variétaux avec 5 à 7 variétés de blés meuniers barbus (Percussio, Ultim, Boregar, Agrum et Lexio…), pour limiter l’impact des sangliers. Je sème le blé dans la première semaine d’octobre, avec 300 à 500g de glyphosate pulvérisé avant le semis pour gérer les graminées uniquement. Les repousses de colza ou autres crucifères adventices sont gérées plus tard par le Fosburi et l’Allié. Les programmes de désherbage dépendent de la problématique des parcelles, rien n’empêche d’appliquer un Daico à la place d’un Defi si la pression vulpin est plus marquée dans une zone. Avec ce programme, il est rare que je sois amené à refaire un anti dicotylédone au printemps. En termes de fongicides, j’applique du Tébuconazole à épiaison, et je mets en place des pratiques (cf ci-dessous, paragraphe rédox et projets) pour améliorer la santé de mes plantes et ainsi éviter d’autres passages éventuels.

  • Itinéraire technique du colza

Pour le colza, je sème 1kg de semence hybride et 2kg de lignée autour du 15 août, en association avec des plantes compagnes gélives (féverole, fenugrec, trèfle d’Alexandrie). L’an dernier, du fait de l’été sec, l’impasse a été faite sur le glyphosate. Les repousses ont été gérées par un simple antigraminées foliaire, complémenté par un antigraminées racinaire. Localement, sur des tâches à problématique vulpin et avant l’anti graminées racinaire, un anti graminées foliaire spécifique vulpin peut être réalisé (Centurion ou Select). Pour gérer la flore adventice éventuellement présente, en fin d’automne lorsque les plantes compagnes sont bien développées et ont joué leur rôle, l’application d’un désherbant à base d’aminopyralid, d’halauxifène et de piclorame est réalisé.
En cas de pression insectes, un insecticide d’automne peut être réalisé en mélange avec un de ces désherbants. Au printemps, si nécessaire, un insecticide est appliqué pour les charançons. Pour les méligèthes, un mélange de miel (30g) et de bicarbonate de soude (100g) a été très efficace en 2022. L’efficacité de ce mélange reste à être confirmée lors de la prochaine année à forte pression, ce qui n’était pas le cas en 2023, aucun traitement n’a été effectué. En termes de gestion des maladies type sclérotinia, un fongicide est réalisé à la chute des premiers pétales.



3. Les facteurs de réussite

En conclusion et pour résumer, voici les facteurs de réussite qui me semblent prépondérant pour ma transition :

- La vente de tout le matériel de travail du sol pour acheter un semoir haut de gamme performant ;
- La formation avant la transition puis les formations régulières par la suite ;
- Faire partie d'un collectif d'ACSistes en adhérant à l’APAD ;
- La succession de 3 années plutôt sèches ce qui a permis de toujours réaliser les interventions dans de bonnes conditions ;
- L'investissement dans des couverts végétaux systématiquement implantés dès la récolte du précédent ;
- Une rotation allongée avec de nouvelles cultures (en particulier de printemps);
- Plus aucun travail du sol, sauf exception dans les passages de roue, ou zones qui ont été inondées ;
- Une maîtrise technique pointue sur tous les parasites des cultures : adventices, champignons, insectes, campagnols ainsi que sur les itinéraires techniques (date de semis, variétés utilisées, fertilisation au semis, ...)



4. Echecs et solutions

Evidemment, j’ai connu quelques échecs depuis 2018 et mon passage à l’ACS.
J’en citerai 2 principaux :


a) En 2020, j’ai trouvé qu’une parcelle démarrait mal avec peu de vers de terre et avec des zones hydromorphes. En été, j’ai passé les dents Michel pour préparer le semis du colza. Ce passage a asséché le sol ce qui a pénalisé la levée homogène du colza. Je garde quand même la culture et juste avant la moisson, il est tombé 100 mm : la moissonneuse a fait des ornières contrairement aux sols non travaillés ; le résultat est décevant à 23 quintaux et j’ai donc dû re-déchaumer pour niveler. En 2021, le blé derrière s’est aussi mal développé avec les zones hydromorphes toujours présentes et une mauvaise structure. Après la moisson du blé et l’implantation d’un couvert, j’ai semé cette année de l’orge de printemps : il y a eu à nouveau beaucoup de pluie après le semis et donc de l’eau qui s’infiltre mal avec des conséquences sur le développement de l’orge. Après la moisson de l’orge, qui a donné un rendement correct à 57 quintaux (et 9.5 de protéine), j’ai repassé le décompacteur – dent Michel avec la herse rotative puis rouleau dans les endroits encore problématiques. J’ai semé dans la foulée un couvert d’été à base de légumineuses en espérant qu’il me restructure le sol naturellement avant le semis du blé. En conclusion, le travail du sol de 2020 continue de me pénaliser : alors que je pensais résoudre une problématique, je n’ai fait que l’accentuer !


b) Autrement, dans notre région, il est de plus en plus compliqué d’allonger les rotations, en particulier pour les cultures de printemps à cause des parasites et de la météo. Une façon de pouvoir implanter davantage de blé est de le semer sous couvert pluriannuel. En 2021, j’avais semé une luzerne dans du tournesol et ma luzerne a été de toute beauté sans trop concurrencer le tournesol. Je l’ai gardé 2 ans en culture pure et je vais semer un blé en direct dedans cet automne. Par contre, cette année, j’ai semé un mélange lotier - trèfle blanc nain avec de l’orge de printemps : malheureusement, il y a eu beaucoup d’eau en mars ce qui a pénalisé le couvert et favoriser la levée de dicotylédones : j’ai dû désherber et donc détruire le CP.


Le tournesol de 2021 avec la luzerne implantée dedans : une réussite !



5. Redox et projets

Figure 3. Schéma du potentiel Redox


Je protège mes céréales, en travaillant sur le Redox selon les travaux d’Olivier Husson. Je cherche à obtenir des plantes saines pour les rendre plus résistantes aux maladies et attaques d’insectes.

Pour limiter l’oxydation des plantes due à la fertilisation et aux applications phytosanitaires, des antioxydants sont apportés régulièrement. Il s’agit de macérations (ortie, consoude etc.) dont la composition dépend du stade de la culture au moment de l’application. CEREA FORCE est appliqué à épi 1 cm, CEREA FLORE à 1 nœud et CEREA CLEAN à dernière feuille, à hauteur de 5L/ha, soit 12,5€/passage. Des acides aminés sont parfois ajoutés aux pulvérisations d’antioxydants.
Le but du Redox est de pouvoir réduire les fongicides. Ces travaux me permettent de me passer de fongicide en orge d’hiver et en orge de printemps, bien que j’en réalise toujours un petit en blé pour la fusariose, de peur d’un mois de juin humide.

En 2021, aucun fongicide n’a été réalisé sur les cultures, au profit de trois passages de macération. L’an passé, seuls deux passages de macération ont été appliqués sur blé, avec un passage de fongicide au stade épiaison. Ce printemps 2023, j’aurais pu me passer de ce fongicide sur mes mélanges de blé, qui ont bien résisté. Par contre, ma variété pure Boregar a nécessité un fongicide renforcé du fait de l’apparition de rouille. Le fongicide a été placé in extremis à épiaison pour contrer cette maladie.

Le 3 mai, lors d’un tour de plaine de l’APAD Nord Est, les participants ont pu constater le bon état sanitaire de mes cultures. En effet, la moyenne des rendements reste constante. Des mesures plus précises à l’aide d’un capteur de rendement instantané sur la moissonneuse sont à venir, ceci me permettra de réaliser des cartographies de rendement. Aux USA, il existe des cartographie des parcelles de Redox de terre (conductivité), et d’humidité. La technologie existe, mais nous sommes en retard, et je compte bien continuer dans cette direction.

En termes de projets, il me reste également à drainer certaines parcelles qui mériteraient d’être assainies, ce qui permettrait de réduire la pression vulpin dans ces zones.



Article écrit par le comité technique de l’APAD.
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