Publié le 01/04/2025 | Télécharger la version pdf |
Les microorganismes du sol à multiplier soi-même : un plus pour l’Agriculture de Conservation des Sols ?
Isolation d'une cuve pour multiplier les microorganismes
(Photo: M. Cavillon)
L’agriculture de conservation des sols, de par ses 3 piliers, améliore grandement les sols ce qui permet d’obtenir des cultures plus résilientes face aux différents stress. Dans le dernier instant technique, nous avons mis en avant l’importance du lien entre pH et potentiel Rédox des sols. Cependant, nous avons vu qu’il est complexe, et impossible aujourd’hui, d’utiliser le Redox pour conduire ses cultures car il évolue trop rapidement sans pouvoir forcément l’anticiper.
Cet instant technique vous propose de faire le lien entre ACS et Rédox grâce aux microorganismes que l’agriculteur peut multiplier lui-même ce qui contribue fortement à son autonomie.
1) Un monde invisible mais indispensable
Le fonctionnement global du vivant sur notre Terre est une succession incalculable de transformations biologiques et chimiques. Des milliers de substances différentes et des millions d'espèces de micro-organismes (bactéries, champignons, levures, etc.) y participent. Les micro-organismes sont si petits qu'ils ne deviennent visibles au microscope qu'à un grossissement de plusieurs centaines de fois. Un seul gramme de terre contient des milliers de milliards de ces micro-organismes. Ils transforment d'innombrables substances en nutriments pour les plantes, les animaux et les hommes. Ils sont en d'autres mots la base de toute vie. Depuis des milliers d’années, les micro-organismes nous aident à brasser la bière, à fabriquer le pain, à produire la choucroute et autres aliments fermentés, à fermenter le vin et d'autres alcools, à fabriquer le fromage, etc. Les microorganismes sont partout mais invisibles.
Ils se répartissent en trois grandes catégories :
- Les micro-organismes de décomposition et de dégénérescence. Leurs métabolites sont des oxydants responsables de la putréfaction, de la décomposition et de la dégénérescence. Dans ces processus, se forment des radicaux libres (oxygénés agressifs) qui sont à l'origine de la plupart des maladies.
- Les micro-organismes structurants, de régénération et de fermentation. Leurs métabolites sont des antioxydants qui sont à la base de la santé des sols, des eaux, des plantes, des animaux et des hommes.
- Les micro-organismes neutres, qui sont quantitativement les plus représentés. Ces microorganismes sont des suiveurs qui se comportent en éléments structurants ou décomposants, suivant la prépondérance des deux autres groupes.
Ce qui est beau dans toutes ces transformations, c’est que les processus de digestion et d'alimentation présents dans les sols se déroulent de façon très analogue à ceux des systèmes de digestion des animaux et des humains. Les sols peuvent être considérés comme le système de digestion des plantes. Cela signifie que la bonne santé des sols entraîne la bonne santé des plantes puis des animaux et des hommes.
2) Les microorganismes, solution face à des pratiques oxydantes
Du fait de la pollution de l'environnement, de la fertilisation artificielle des sols, de la lutte chimique contre les parasites et des médicaments (en particulier des antibiotiques), du travail intensif du sol, les micro-organismes de décomposition se sont multipliés de façon vertigineuse. De nombreux chercheurs parlent d'une prédominance de 98 % des micro-organismes oxydants alors que leur proportion idéale n'est que de 2 %. Ceci entraîne, comme on l’a vu avec le redox, que la chaîne sol – plante – animaux et humains sont dans des phases de trop fortes oxydations.
Face à ce constat, M. Teruo Higa, docteur en agronomie et professeur d'université en horticulture à l'université de Ryukyus à Okinawa (Japon) a découvert les EM (micro-organismes efficaces) dans les années 1980. Dans la solution brevetée, les EM vivent en équilibre avec plus de 80 espèces différentes de micro-organismes aérobies et anaérobies où les uns vivent des métabolites des autres. Les levures, les champignons décomposeurs, les bactéries lactiques et les bactéries photosynthétiques forment les plus grands groupes des EM qui ont ensemble une action de régénération, structurante et antioxydante.
Les bactéries acido-lactiques suppriment les micro-organismes pathogènes et accélèrent la dégradation de la matière organique. Elles ont aussi un rôle probiotique pour l’alimentation animale.
Les bactéries photosynthétiques produisent de l'énergie et de la biomasse qui favorisent la croissance des plantes et des autres micro-organismes, elles coexistent avec les bactéries fixatrices d’azote.
Les bactéries actinomycètes produisent des substances antimicrobiennes qui éliminent les champignons nocifs et les bactéries pathogènes.
Les levures produisent des substances bioactives (hormones, enzymes, vitamines), des antioxydants, des substances antimicrobiennes. Elles ont pour effet, chez les plantes, de favoriser la division cellulaire et la croissance racinaire, et chez les monogastriques et ruminants, de jouer un rôle de probiotique pour l’alimentation animale.
Les champignons décomposeurs équilibrent la flore bactérienne, éliminent des organismes pathogènes, décomposent rapidement la matière organique, préviennent la multiplication d’insectes ravageurs et de nématodes ainsi que de l’apparition de mauvaises odeurs.
3) Les 2 champs d’actions des EM
a) La fermentation
Une fermentation est une transformation qui permet d’obtenir des substances riches en énergie, réexploitables par d'autres organismes : des acides organiques et alcools, des sucres, des acides aminés et des vitamines, etc. Ces transformations ne produisent aucuns dérivés nuisibles tels que l'ammoniac ou l'acide sulfurique. On a alors le développement d’autres micro-organismes dont l’activité entraîne une meilleure fertilité des sols, fortifient les plantes, contribuent à renforcer le système immunitaire et améliorent l'indice de consommation des animaux.
b) L’anti oxydation
Les EM produisent des antioxydants qui ralentissent les processus pathogènes et de dégénérescence. Comme les pratiques humaines sont de plus en plus oxydantes comme on l’a précisé ci-dessus, les EM rééquilibrent les processus biologiques ayant une action antioxydante et structurante. De ce fait, ils entraînent avec eux la grande masse des bactéries suiveuses empêchant ainsi une putréfaction et une mauvaise évolution des matières organiques. Les micro-organismes nocifs ne peuvent plus se propager car les EM, renforcés par les micro-organismes neutres, leur font concurrence et les supplantent. Avec leurs métabolites à grande valeur énergétique, les EM compliquent la colonisation des surfaces par des agents pathogènes ou saprophytes car ils maintiennent les surfaces occupées par de bons micro-organismes.
Au-delà de ces 2 champs d’action, certains chercheurs avancent aussi l’idée d’une évolution des champs vibratoires et énergétiques mais ceci est plus difficile à démontrer et encore en phase exploratoire.
4) Microorganismes efficaces (EM), litière forestière fermentée (Lifofer), Bokashi et extrait fermenté de plante (EFP)
Parmi la grande famille des préparations de micro-organismes, les EM et la LIFOFER sont faciles à réaliser chez soi et multi-usages. Comme on l’a vu précédemment, les EM sont un “cocktail” de 80 microorganismes sélectionnés, particulièrement utiles, capables de vivre ensemble tout en s’entraidant. Une solution mère est commercialisée, elle peut facilement être multipliée 3 à 4 fois.
La Lifofer est basée sur le même principe, mais consiste à récupérer le mélange de microorganismes localement : on utilise le microbiote des forêts naturelles, locales en prélevant de petites quantités de litière en forêt.
Le bokashi (Matière organique bien fermentée en Japonais) est une méthode japonaise de compostage en milieu anaérobie des matières organiques préalablement ensemencées en microorganismes.
Enfin, les EFP sont obtenus par la macération et la fermentation de plantes locales (ortie, consoude, prêle, luzerne…). Ils permettent d’apporter à la fois des microorganismes et des nutriments sous forme assimilable pour le sol et les cultures.
Dans les 4 cas, la multiplication des microorganismes se fait par fermentation, sans présence d’oxygène.
a) Les EM
Le pH indique que la fermentation est terminée. Le produit peut être utilisé ou conservé.
Les microorganismes se multiplient à température ambiante. Le fait de chauffer la préparation permet d’accélérer le processus. En fonction de la température il y aurait une variation de l'équilibre des micro-organismes dans le mélange mais avec un impact négligeable.
Dans une cuve de 1000L (cubi), incorporer 1 l d'inoculant EM, 30l de mélasse de canne à sucre non soufrée (indispensable !), 970l d'eau non chlorée et 3 kg de sel. Bien fermer et étanchéifier la cuve ; installer un mécanisme d'évacuation d'air. Si on veut chauffer l’eau, installer des résistances (ex : résistance d'aquarium min 300W pour 500L) et monter l'eau à une température de 30°C. Laisser fermenter 3 à 4 semaines pour une fabrication entre 5 et 12°C, 24-48h pour une fermentation autour de 30°C.
La fermentation est finie quand le pH atteint 3,5. Le produit se conserve 6 à 12 mois à température ambiante et à l'abri du soleil. Il s’utilise ainsi : Lisier : 1000l par fosse tous les 2-3 mois - Fumier : 1l pour 100m3 - Au champ : 30 l/ha à par temps couvert et humide car les EM sont détruits par les UV.
b) La Lifofer
La différence par rapport aux EM achetés est qu’il faut d’abord les prélever et les multiplier. Pour ce faire, ramasser de la litière forestière en décomposition (30% feuilles claires, 70% humus de surface) : 20 litres de litière permettent de produire 1000 litres de Lifofer. Y ajouter 20 kg de son de blé pour un apport en fibres, 5 litres de petit-lait pour un apport complémentaire de bactéries lactiques et de lactose, 5 litres de mélasse pour un apport de sucres complexes et rapidement fermentescibles et enfin 5 à 20 litres d’eau non chlorée. Une fois le mélange prêt, remplir un bidon de 60 litres en tassant régulièrement pour chasser l’air (le processus doit être majoritairement anaérobique) et le fermer ; L’entreposer dans un lieu entre 25 et 30°C pendant un mois. Si une bonne odeur aigre-douce s’en dégage, cela signifie que la Li-Fo-Fer en phase solide est prête à être utilisée. Elle se conservera deux ans, si l’anaérobie est maintenue dans le bidon. Par contre, si une mauvaise odeur de putréfaction ou de vinaigre se dégage du bidon, jeter le produit, car la fabrication a échoué.
Ensuite, le procédé est le même que pour les EM.
c) Le compost Bokashi
Le Bokashi est une méthode de fermentation de la matière organique en milieu anaérobie et humide. C’est donc une méthode très différente du compost habituel qui résulte d’une oxydation de la matière organique en milieu aérobie. L’absence d’oxygène permet de conserver la quasi-totalité de l’énergie et du carbone de la matière de départ. Il est possible de réaliser un compost Bokashi avec quasiment n’importe quel déchet organique : fumier, phase solide de lisier, déchets verts, résidus de culture, etc.
Pour réaliser cette fermentation, le tas doit être tout d’abord ensemencer en microorganismes (pouvant être issus des procédés précédents) puis fermer hermétiquement. Au bout de 3 jours des jus s’écoulent, riches en azote ammoniacal et oligo-éléments. Ce jus peut être valorisé en culture en le diluant à 10 %. La fermentation du tas dure 8 à 10 semaines. La température du compost doit être inférieure à 35 °C : une trop grande variation de chaleur peut compromettre la fermentation. Le Bokashi s'épand à raison de 30 à 40 t/ha/an, à l’aide d’un épandeur classique, au moins 2 semaines avant la mise en place de la culture.
d) Les Extraits de plante
Les extraits fermentés sont des préparations réalisées à partir de plantes macérées. On les retrouve également sous le nom de purin, d’infusions, de décoctions et de macérations . Chacune avec son propre procédé de fabrication et d’utilisation. En règle générale, les plantes sont plongées dans un solvant (eau, huile ou vinaigre) afin d’enclencher un processus de fermentation au cours duquel des microorganismes se développent et transforment l’extrait végétal. Il serait trop long ici de détailler chaque procédé de » fabrication et chaque type d’utilisation. Il faut donc se référer aux nombreux ouvrages existants sur le sujet.
Témoignage d’Alain BATY, agriculteur à Cheffois (85) en ACS depuis 2010 et adhérent de l’APAD Centre Atlantique
Je pratique l’ACS le plus possible depuis 5 années sur une ferme en polyculture élevage. J’élève 430 brebis sur 58 hectares. Mes sols sont superficiels de type limono -sableux-argileux (14%argile). Mes productions sont essentiellement destinées à l’alimentation de mes animaux, la nature des cultures de ventes varie en fonction des assolements. Je suis également équipé d’un système de séchoir en grange et n’utilise plus de chimie hors herbicides.
Historiquement mon père utilisait les produits de la société SOBAC sur la litière des brebis. Lors de mon installation, j’ai arrêté d’utiliser ces produits car trop onéreux. Rapidement, j'ai vu que l’ambiance bâtiment se dégradait, tout comme la tenue de mon fumier. C’est lors d’un échange avec un agriculteur adhérent à l’association La Vache Heureuse que j’ai découvert la LiFoFer. Depuis, sur un autre groupe d’échange d’agriculteurs nous parlons et échangeons sur les Micro-organismes et les différentes méthodes pour les obtenir et multiplier, et j’ai préféré l’approche LiFoFer aux EM. Les EM sont une multiplication de bactéries sélectionnées en laboratoire, avec une version générique/standard pour tout le monde. Je pense que multiplier, utiliser des bactéries et champignons issues de mon environnement proche sera plus adapté aux organismes vivants de mon sol.
On m’a alors orienté vers la société Rézomes. J’ai donc testé pendant 3 hivers leurs produits et j’ai retrouvé l’efficacité des produits Sobac sur l’ambiance et la litière en bâtiment. Après plusieurs échanges avec la société Rézomes, des agriculteurs et formateurs, j’ai appris à fabriquer la LiFoFer par moi-même. J’ai commencé à utiliser la LiFoFer sur le fumier puis sur les animaux et depuis peu les cultures.
Aujourd’hui j’applique la LiFoFer sur les fumiers, mais aussi directement sur le foin à l’auge. Les brebis profitent alors des effets bénéfiques des bactéries et champignons (probiotiques) avant de passer par la panse des animaux ou ils se multiplient avant d’aller dans le fumier. J’avais un lot de brebis avec une problématique de rumination et du foin de qualité moyenne. J’ai alors appliqué du la LiFoFer à l’auge et j'ai rapidement observé une reprise de la rumination en 3 jours.
Concernant la “recette”, il n’y a pas de recette unique. Disons qu’il y autant de recettes que d’agriculteurs ou du moins autant de recettes que d’usages. Une chose est sûre, la première étape du processus de fabrication est identique pour tous. Étape 1 fabrication d’une base “La solide”. Étape 2 multiplication des bactéries et champignons issues de “La solide”.
Etape 1 :
1. Je vais chercher de la litière en bordure de forêt éloignée des champs cultivés dans l’objectif que cette zone soit dépourvue de toutes traces de fongicides. Je ramasse alors des éléments en décomposition type arbre creux (bien avancé, pas de bois dur), des accumulations de feuilles (le dessous) là où il y a plein de petits filaments blancs. Période printemps ou automne, des périodes propices à l’apparition des champignons. Pas de terre.
2. Je mélange mes prélèvements avec du son de blé bio (ou malte de brasserie) + de la mélasse et du petit lait. J’ajoute de l’eau sur le mélange est trop sec. J’en profite pour enlever les racines présentent dans mes prélèvements.
3. Dans un bidon je transfère ce mélange et le compacte fortement pour chasser l’air le plus possible. J’équipe le bidon d’un système qui permet de chasser l’air afin d’éviter l’explosion du bidon.
4. Je laisse reposer pendant 40 jours à 25°C, pour cela j’ai fabriqué un local isolé autour de mon chauffe-eau. La température y est donc constante toute l’année.
Étape 2 :
En fonction des usages les quantités utilisées peuvent varier. Ici recette ayant une action sur fumier.
1. Dans un sac perforé de 400 microns, placer 3 à 25 kg de “La solide” (Solution mère) (quantité selon destination champ/fumier)
2. Dans un bidon mettre 120 litres d’eau de pluie/puits.
3. Ajouter 6 à 20 litres de mélasse non soufrée + 30 litres de petit lait. (quantité selon destination champ/fumier)
4. Laisser pendant 10j à 25- 30°C
Objectif Ph 3.5 - 4.2 et une odeur aigre doux.
0. Soutirer le liquide de la quantité désirée.
On pourra se re-servir de la solide 4 fois d'affilée.
Usages : (On pourra ajouter de la mélasse à la Lifofer pour ces différents usages)
- Sur la litière : objectif amélioration ambiance en bâtiment et valorisation NPK du fumier
5 à 30 Litres de Lifofer pour un bâtiment de 800m² (fumier de brebis !)
- Sur les animaux : directement à l’auge (100/150 ml/ vaches/jour)
- Sur céréales (pas encore testé) : 60 litres/Ha après semis
60 litres/Ha tallage
60 litres/Ha épis 1 cm (quantité avec recette sous dosé)
- Après pâturage : 20-100 litres/Ha, en test actuellement
- Après chaque fauche avec des oligos : 50/100 l
- Avec glyphosate permet de faire baisser le ph de la bouillie de pulvérisation.
- Test sur rond de chardon. 10L de LiFoFer sur 40m². Sur rumex avec silice. Disparition des chardons sur la partie avec application.
- Conservateur en enrubannage 10l/tonnes MS
Témoignage de Jean-François Feignon, agriculteur à RIVARENNES (36) en ACS depuis 2010 et adhérent de l’APAD Val de Loire
Avec mon frère, nous gérons une exploitation de 280 hectares en GAEC. Nous sommes en agriculture de conservation des sols (ACS) depuis 2010 et pratiquons la polyculture-élevage. Nos terres sont très hétérogènes : argilo-calcaires, sables, mouillères, limons argileux. 140 hectares sont dédiés à l’alimentation animale, et notre système repose avant tout sur l’élevage. Nous avons un troupeau de 115 vaches charolaises, principalement sur prairies temporaires. Aujourd’hui, notre objectif est de gagner en autonomie protéique en intégrant des pois et en produisant des méteils.
J’ai découvert les EM (Efficient Micro-organisms) un peu par hasard, grâce à un autre agriculteur. D’abord, j’ai testé la LiFoFer, mais j’ai trouvé le processus trop complexe : il fallait filtrer le liquide du solide, ce qui représentait un risque d’échec et demandait trop de manipulation. À l’inverse, les EM sont beaucoup plus simples et rapides à utiliser, ce qui correspond mieux à ma philosophie : « Je préfère un système simple à mettre en place qu’un système complexe où l’on finit par arrêter. »
La première fois que j’ai expérimenté les EM c’était sur un couvert végétal de 2 mètres de haut, dans lequel j’avais fait pâturer mes vaches. Il restait encore beaucoup de matière végétale en surface et je m’interrogeais sur la faisabilité de semer dans une telle biomasse. J’ai appliqué des EM et, à ma grande surprise, toute la matière végétale du couvert avait complètement disparu en très peu de temps, et ce sur des argilo-calcaire. Cela m’a convaincu de leur efficacité. J’ai aussi fait des essais dans mon jardin, en appliquant les EM sur certains de mes choux pour lutter contre les altises et renforcer la santé des plantes. Résultat : des légumes plus résistants grâce à l’application d’EM en foliaire.
Aujourd’hui, j’utilise les EM sur mes bovins dès leur naissance. J’en apporte ainsi 1 seule fois avec un produit à base de clinoptilolite dans la gueule des veaux pour ensemencer leur flore intestinale. J’en mets aussi au moment de mettre la farine dans l’auge et sur les bottes lorsque je paille les litières. Ça ne me rajoute que très peu de manipulation et ne me demande pas vraiment de temps supplémentaire à l’application. Je peux parfois faire un passage à la pompe à dos directement sur la litière. Initialement j’en mettais l’équivalent de 100ml/vaches Mais je suis de moins en moins rigoureux sur le dosage et ai de plus en plus tendance à surdoser. Mon idée, c’est d’en mettre partout. À terme, je pense encore simplifier en utilisant un même type d’EM pour toutes mes applications. Sur l’élevage les bénéfices sont très concrets : Meilleure ambiance dans les bâtiments car pas de pertes ammoniacales, meilleure immunité du troupeau, meilleure digestibilité de la ration, meilleure salivation et moins de mastication des ruminants permettant plus de repos du troupeau, baisse des pressions parasitaires (mouches), meilleure conductivité du lait...
Sur mes cultures, l’approche est simple. Je prépare des cubis de 1000 litres et veille à les finir rapidement une fois qu’ils sont entamés. En effet, j'utilise environ 450 litres par passage de pulvérisateur. J’applique 140 litres par hectare avec des buses trifilet pour bien mouiller, dont 40 litres d’EM, mélangés à 100 litres d’eau. Depuis peu, j’ajoute aussi de la mélasse (3 à 4 litres par hectare). L’intérêt de la mélasse est d’apporter un substrat pour les EM et la vie du sol afin de stimuler leur démarrage et leur action. De plus, la mélasse absorbe la lumière et protège ces micro-organismes des rayonnements photoniques. J’ai même mis une chaîne reliant mon pulvérisateur à la terre, pour rééquilibrer le redox de mes plantes. En effet, les EM et l’équilibre RedOx sont strictement dépendant des différentiels électriques. En reliant le pulvérisateur à la terre avec une chaîne touchant le sol on évite de provoquer une surtension et d’envoyer une décharge électrique à la plante.
Pour moi, en grande culture, l’objectif est de stimuler leur auto-immunité, de favoriser la dégradation des pailles et, à terme, de substituer les produits phytosanitaires par les EM. Je n’utilise déjà plus d’insecticides et de fongicides mais les EM pourraient peut-être m’apporter un outil de contrôle supplémentaire sur la santé de mes plantes. Je privilégie les applications par temps humide, frais ou juste avant une pluie, souvent en soirée. Pas de période stricte : je les applique en automne ou au printemps, en fonction de mes objectifs, en attendant que la température atteigne au moins 10°C.
Pour optimiser leur usage, je récupère les fonds de cuve et les reproduis en ajoutant de l’eau, de la mélasse et du sel. J’utilise une eau de puits assez minérale. Cela me permet d’économiser de la solution mère. Mais je n’hésite pas à repartir sur un brassin « propre » si je constate une dérive dans ma production d’EM.
À l’avenir, je souhaite être plus régulier et assidu dans l’application des EM, tant sur mes bovins que sur mes cultures. Pour moi, il s’agit d’amener toute cette masse de bonnes vies dans mon système. Certes, il y a quelques contraintes, mais elles restent faibles par rapport aux bénéfices constatés. Je sais que certains l'associent avec leurs passages de glyphosate. En plus de baisser le pH de la bouillie (les EM ont un pH autour de 4), cela permettrait de rééquilibrer le Redox du sol et de la plante afin de contrebalancer les effets négatifs du désherbant.
Aujourd’hui, je continue mes essais, notamment avec Symbiovie dans l’Allier, et je reste convaincu que ces pratiques ont un bel avenir dans notre manière d’aborder l’agriculture.
Témoignage de Franck Dehondt, agriculteur à Lucheux (80) en ACS depuis 10 ans, adhérent de l’APAD Picardie
Franck Dehondt est adhérent à l’APAD Picardie et agriculteur en polyculture-élevage laitier dans la Somme. Il pratique le TCS depuis 20/25 ans et depuis une dizaine d'années, il oriente ses pratiques au plus proche de celles de l’ACS. Il cultive des céréales, des prairies, du maïs et de la betterave sucrière.
Franck a intégré l’utilisation de micro-organismes efficaces (EM) pour optimiser l’ambiance de son bâtiment d’élevage : amélioration de la qualité de l’air, contrôle des pathogènes et accélération de la décomposition de la matière organique. Il utilise également ces micro-organismes comme conservateurs dans ses silos d’ensilage et lors de ses rares interventions mécaniques sur ses parcelles. Il constate des bénéfices sur la porosité du sol, la réduction de la compaction, la décomposition des résidus, l’infiltration de l’eau et la disponibilité des nutriments. Récemment, il s’est lancé dans la production et l’utilisation de Lifofer.
Ses conseils aux agriculteurs souhaitant se lancer dans ces pratiques :
Que ce soit pour l’utilisation des EM ou de la Lifofer, Franck partage quelques recommandations :
- Choisir une mélasse de qualité, suffisamment riche en sucres (45 à 50 %).
- Utiliser un matériel de fabrication et de stockage adapté, parfaitement hermétique.
- De ne pas hésiter à se lancer ! Ce n’est ni très compliqué, ni très coûteux, et les quantités d’utilisation restent raisonnables. "Vas-y, n’aie pas peur !"
Retrouvez l’intégralité du témoignage de Franck sur YouTube pour en savoir plus ! https://www.youtube.com/watch?v=ECQYYlGMlxw
Témoignage de Rémi Thinard : un expert engagé pour les préparations fermentées en agroécologie
Un parcours entre l’Amérique Latine et la France
Je suis Rémi Thinard, formateur et conseiller en agroécologie. Mon expertise s'est forgée au fil d'un parcours atypique. Originaire de la Loire, j'ai découvert l'agroécologie lors d'un séjour en Amérique Latine, où j'ai résidé pendant six années. Travaillant au contact de diverses filières de producteurs, j'ai accompagné les agriculteurs dans l'autonomisation de leur système en enseignant la fabrication et l'utilisation de biofertilisants.
C'est en Équateur, lors d'un volontariat dans une ferme maraîchère des Andes, que j'ai découvert la Litière Forestière Fermentée (LiFoFer), une technique déjà bien développée dans la région sous le nom de "microorganismes de montagne" ou "microorganismes de forêt". En Amérique du Sud, notamment dans les fermes en Agriculture Biologique, ces pratiques sont utilisées depuis les années 1990 et bénéficient de plus de 30 ans de recul. Séduit par cette approche, j'ai approfondi mes connaissances sur différentes fermes et à travers des formations. Entre 2015 et 2017, je me suis installé en maraîchage en Équateur, ce qui m'a permis de tester ces méthodes à l'échelle de ma propre ferme puis sur d’autres fermes et projets à travers mon activité de conseil et formation.
À mon retour en France en 2019, j'ai constaté un retard dans la diffusion de ces pratiques. J'ai alors rencontré Valo et l’équipe de l'association Terre et Humanisme, qui s'intéressent au développement de la LiFoFer depuis déjà plusieurs années en France et lui a donné son nom français de LiFoFer. J'ai participé notamment à la formation du GIEE Magellan, un groupement d'agriculteurs en production d'amandes, des vignerons, des producteurs de noix, de nombreux éleveurs… J’ai travaillé avec ces producteurs à la mise en place d’essais pour mesurer l'impact de ces préparations. Nous avons en parallèle travaillé à la collecte de données sur l’inocuité et la caractérisation des microorganismes utilisés dans ces préparations.
Un regard sur l'utilisation actuelle et future des préparations fermentées
Pour moi, les apports de microorganismes sont un outil parmi d'autres, et non une solution miracle. Leur utilisation a explosé en France ces dernières années, aussi bien pour des formations collectives que pour des accompagnements individuels. L'effet le plus rapide et visible est observé en élevage : en quelques semaines, ces préparations améliorent la santé des troupeaux, réduisent les odeurs ou encore favorisent la conservation des ensilages.
En grandes cultures, les applications sont diverses :
- Sur céréales, ces préparations renforcent la plante et améliorent sa résistance aux stress.
- Pour la destruction des couverts, elles accélèrent la décomposition en stimulant l'activité microbienne du sol.
- En association avec des éléments minéraux, elles peuvent être combinées avec des acides aminés, sulfates ou éléments chélatés, mais doivent être évitées avec des bases en raison de leur effet acidifiant et réducteur.
Un débat existe quant à l'introduction de microorganismes forestiers dans les sols agricoles. Pour ma part, je nuance cette crainte : les microorganismes non adaptés ne trouvent pas leur place et ne se développent pas. Seuls ceux qui s'intègrent dans le nouvel écosystème local et ont un rôle à jouer prospèrent, ce qui limite les risques d'effets indésirables.
Précautions et limites de ces pratiques
Bien que prometteuses, ces préparations demandent une maîtrise technique. Une fabrication mal conduite (mélasse de mauvaise qualité, présence d'oxygène) peut entraîner une putréfaction, rendant le produit nocif pour le sol et les cultures. En outre, la recherche peine à cadrer ces pratiques, car les micro-organismes sont extrêmement variés et leur comportement dépend de multiples facteurs (climat, type de sol, cultures associées…). À ce jour, les essais au champ sont nombreux, réalisés par des agriculteurs de toute la France, ils permettent de mesurer l’impact de ces pratiques sur la santé des sols, des cultures, mais aussi des animaux.
Je suis convaincu que ces produits fermentés joueront un rôle clé dans l'adaptation des systèmes agricoles aux aléas climatiques. Leur effet antioxydant et leur large champ d'application en font un levier d'intérêt pour l'Agriculture de Conservation des Sols. Il reste encore beaucoup à découvrir : "beaucoup de choses sont à attendre, car nous connaissons encore très peu la biodiversité des sols, à peine quelques pourcents, mais nous savons qu’il y en a un rôle majeur à jouer auprès de tous les organismes vivants et dans les sols".
Anecdote : un canard miraculé grâce à la LiFoFer ?
Je me souviens d'un des premiers agriculteurs que j'ai formés en France, dans une ferme de polyculture-élevage du Morvan. Lors de la formation, je lui ai expliqué la diversité des usages de la LiFoFer, notamment son effet cicatrisant dû aux acides lactiques présents dans la préparation liquide. L’agriculteur, sceptique mais curieux, décide d'appliquer la préparation sur un canard gravement blessé par une morsure de chien, qu'il pensait condamné. Contre toute attente, l'animal a survécu. Impossible de savoir avec certitude si la LiFoFer a joué un rôle clé dans cette guérison, mais cette expérience a suffi à convaincre l'agriculteur qui aujourd’hui, utilise les préparations fermentées partout sur sa ferme, notamment pour la conservation des ensilages, sur les litières, avec des résultats très positif et pour le coup, visibles et mesurables. Cette personne faisant partie d’un groupe connu, et recevant de nombreux éleveurs en visite sur sa ferme, a partagé son expérience avec de nombreux agriculteurs qui ont les mêmes effets significatifs sur leurs fermes avec l’utilisation de la LiFoFer.
Ce sont souvent de petites choses qui ont un gros impact. Le bouche à oreille et le partage d’expériences terrain entre agriculteurs est essentiel !
Pour aller plus loin avec Symbiotyk Agroécologie
Aujourd'hui, je partage mon expertise au sein d’une structure dédiée à l'accompagnement des agriculteurs dans la transition agroécologique. Je propose des formations, des diagnostics de sol, ainsi qu'un suivi personnalisé pour intégrer les préparations fermentées dans les systèmes de culture et d'élevage. Notre approche combine autonomie des producteurs, régénération des sols et optimisation des cycles biologiques. Pour découvrir nos services et approfondir vos connaissances sur ces pratiques, rendez-vous sur www.symbiotyk-agroecologie.fr.
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12/03/2021
8 - La culture du tournesol
14/04/2021
9 - Les couverts d’été (partie 1)
19/05/2021
10 - Les couverts d’été (partie 2)
16/06/2021
11 - Témoignage : en ACS depuis 2015
16/07/2021
12 - La gestion des graminées d’automne en système ACS
17/09/2021
13 - Les ravageurs du sol
15/10/2021
14 - La gestion des oligo-éléments
15/11/2021
15 - Résultats d’essais en ACS du réseau APAD
22/12/2021
16 - La gestion des cultures industrielles en ACS
17/01/2022
17 - Les Matières Organiques en système ACS
21/02/2022
18 - Semis des prairies sous couvert en ACS
16/03/2022
19 - Cultures Intermédiaires à Vocation Energétique
14/04/2022
20 - La gestion de l'eau
18/05/2022
21 - La gestion du parasitisme en ACS
17/06/2022
22 - L’innovation permanente en ACS et le lien aux animaux
19/07/2022
23 - Analyser l’année culturale pour apprendre
22/09/2022
24 - Introduire le lupin dans sa rotation
19/10/2022
25 - Le miscanthus : une culture à découvrir !
22/11/2022
26 - L’observation est la base d’un système ACS performant
21/12/2022
27 - L'enherbement en ACS
20/01/2023
28 - La fertilisation en ACS – résultats des essais menés par Arvalis
14/03/2023
29 - La gestion des limaces en ACS
28/03/2023
30 - Ouverture et fermeture du sillon pour les semis de printemps
12/04/2023
31 - Améliorer le bilan carbone de sa ferme
22/05/2023
32 - Le blé dans la rotation
21/06/2023
33 - Réussir sa transition en Agriculture de Conservation des Sols (ACS)
25/07/2023
34 - Les adventices en agriculture de conservation des sols
22/09/2023
35 - Les couverts végétaux d’interculture et la gestion de l’enherbement
23/10/2023
36 - Bilan de la campagne 2022 2023
17/11/2023
37 - L’ACS pour un bon équilibre : « Si nos sols sont en bonne santé, nos vaches et nous aussi. »
20/12/2023
38 - La gestion de la compaction en Agriculture de Conservation des Sols
19/01/2024
39 - Retour sur la journée technique nationale
20/02/2024
40 - Les couverts pluriannuels en Agriculture de Conservation des Sols
20/03/2024
41 - S’adapter aux changements climatiques en grandes cultures
16/04/2024
42 - Les matériels agricoles en Agriculture de Conservation des Sols
21/05/2024
44 - Valoriser nos expériences pour rester autonomes dans nos décisions
28/08/2024
45 - Construire un système bocager pour développer la biodiversité
46 - La gestion du gros gibier en Agriculture de Conservation des Sols
47 - Les couverts végétaux d’interculture et la gestion de l’enherbement – partie 2
48 - L’Agriculture de Conservation des Sols au service de la préservation des sols et de l’optimisation d’un élevage laitier.
49 - L’Agriculture de Conservation des Sols en viticulture
50 - Le potentiel d'oxydo-réduction (redox) : un indicateur clé de la santé du sol et des plantes
51 - Les microorganismes du sol à multiplier soi-même : un plus pour l’Agriculture de Conservation des Sols ?